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politiques et sociales, du devoir de mettre en avant les principes d’ordre et d’économie. Avec la révolution surgissent les grands orateurs. Au torrent de ballades patriotiques, de satires, de chansons qui se répandit alors, le belliqueux accompagnement du fifre et du tambour était indispensable. Le M’Fingal de Trumbull subsiste pour refléter les côtés comiques d’une époque turbulente.

A New-York, le brave et impétueux capitaine Freneau, marin et journaliste, devenait en outre le poète lauréat de la guerre. L’ensemble de son œuvre, avec les défauts prétentieux et les touches habiles qui la distinguent, est dans sa confusion un type à demi sérieux, à demi burlesque, de l’état de la poésie américaine il y a cent ans. On en pourrait détacher, à la rigueur, quelques petites pièces qui tranchent sur la pauvreté habituelle de la poésie lyrique. Les premiers drames furent, à Boston et à New-York, ceux de Royall Tyler (1757-1826) et de Dunlop (1766-1839).

Depuis la fin de la révolution jusqu’à la guerre de 1812, l’Amérique ne songea qu’à tirer parti, dans une sécurité nouvellement assurée, des fruits de l’indépendance. Les écrivains s’en tinrent à analyser la science du gouvernement, dont il importait de mettre les principes en pratique. Cependant, aucune bibliothèque n’était complète alors si elle ne renfermait le prétendu chef-d’œuvre historico-didactique du docteur Dwight : Greenfield Hill, et le poème épique volumineux de Barlow : la Colombiade. L’oreille du peuple se contentait de chants patriotiques, tels que Hail Columbia et the Star-Spangled Banner. Ce fut seulement lorsqu’on eut pris pour la seconde fois l’habitude de la paix que l’imagination commença tout de bon à fleurir. Les modes, celles de l’esprit comme celles de la toilette, étaient encore empruntées à l’Angleterre. On peut supposer que si quelques-uns des poètes qui composèrent la première pléiade de l’Est avaient pu prendre pour modèles Keats et Tennyson au lieu de Wilson et Montgomery, ils auraient été infiniment supérieurs à eux-mêmes ; malheureusement ils n’avaient que des modèles médiocres et n’osaient pas encore montrer des pensées, des grâces originales. En les étudiant de près, on voit cependant que, malgré eux pour ainsi dire, ils considèrent les choses à un autre point de vue que ne font les Anglais, qu’ils traitent volontiers les thèmes du pays natal, du Rome américain, que les provinces différentes de la république ont chacune leur caractère aisément reconnaissable : les poètes du Sud sont plus romantiques, plus chevaleresques, ceux des états du Centre recherchent davantage la couleur historique et nationale ; mais c’est dans l’Est ; où l’intelligence et le savoir avaient pris, depuis plus longtemps qu’ailleurs, leurs lettres de naturalisation, que les fils de la naissante république se distinguèrent en faisant vibrer la corde patriotique, en traduisant