Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 75.djvu/937

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Maître Ambros, au contraire, n’a pas réussi. Mais il n’y a pas dans cet échec de quoi rebuter le jeune compositeur; il n’y a pas non plus de quoi décourager l’espoir que fondent ses amis (et tout le monde est de ses amis) sur son talent ingénieux et distingué.

Un coup d’œil anticipé et rapide sur la partition de Maître Ambros nous avait prévenu pour elle ; le hasard d’une lecture sommaire avait mis sous nos yeux plus d’un passage séduisant. A l’audition, nous avons bien retrouvé tous ces détails charmans, et quelques autres encore, mais perdus hélas! dans un ensemble gris et froid, dans une œuvre qui manque de mouvement et de vie. L’auteur de Maître Ambros, qui deviendra peut-être un compositeur de théâtre, ne l’est pas encore. L’instinct dramatique manque à son opéra : les grandes pages, les pages du moins qui devraient être grandes, paraissent de toutes les plus petites. Un maître comme Bizet, par exemple, eût donné une autre couleur à la scène d’ivresse. Il eût trouvé quelque chanson comme celle de Ralph dans la Jolie Fille de Perth, à la fois douloureuse et folle. Mais rien chez le buveur de M. Widor, pas un cri, pas une défaillance ne nous avertit que son ivresse est feinte, et que ses propres éclats de rire lui brisent le cœur. Il y avait là par bonheur une situation discutable, je le veux, mais assez pathétique, une situation double, pour ainsi dire, et la musique n’a su donner aucun relief à cette dualité. Quant à des scènes comme celle de la bénédiction des drapeaux, on les a trop souvent traitées pour qu’il soit prudent d’y revenir, à moins d’en renouveler l’interprétation et d’égaler, sinon de surpasser des modèles célèbres.

Les grandes lignes manquent donc à la partition de M. Widor, mais non pas les délicates arabesques, et c’est par le menu qu’il faut la prendre. Le théâtre l’oubliera sans doute, il l’a déjà presque oubliée; mais si le soir, dans les salons ou dans les concerts, un amateur délicat, écoutant quelque lied qui le charme, en demande un jour la provenance, on lui répondra peut-être : « c’est de Maître Ambros. »

C’est de Maître Ambros, la complainte de marin :


Ah! depuis qu’il a levé l’ancre,
Le trois-mâts de mon doux ami…


Ce dernier vers est bizarre, et les cantatrices feront bien de le mal prononcer, mais toute la chanson est exquise, pâle et mélancolique comme les mers du Nord, éclairée seulement à latin, d’un rayon, d’un sourire. Un peu maniéré, mais très élégant est le duo suivant : Vous partirez, gentille hôtesse, avec la phrase d’Ambros, amicale autant qu’amoureuse, pénétrée d’une tendresse un peu paternelle, finement