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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/167

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chercha querelle à propos des Propriétés du corps sonore ; il le combattit dans la nouvelle édition de ses Élémens de musique ; il le harcela dans les articles techniques de l’Encyclopédie. Mais l’inventeur de la basse fondamentale n’était pas homme à reculer pour si peu. À philosophe philosophe et demi : d’Alembert prétendait lui montrer l’harmonie ; il se mit à lui enseigner l’algèbre. À partir de ce moment, le débat n’est plus qu’une mêlée confuse, un de ces imbroglios nocturnes où les gens vont à tâtons, se heurtent sans se voir, crient sans s’entendre, tombent les uns sur les autres et se gourment à grand bruit dans les ténèbres. C’est ainsi que les relations de Rameau et des encyclopédistes commencèrent par des complimens et finirent par des bourrades. Palissot a oublié la scène dans sa comédie des Philosophes ; Molière, il est vrai, s’en était chargé pour lui.


V.

Contre ses puissans adversaires Rameau avait beau entasser brochure sur brochure ; c’est par un opéra qu’il eût fallu répondre, et son feu s’épuisait. La collaboration de Marmontel ne lui avait que médiocrement réussi ; la Guirlande de fleurs, les Sybarites eurent peu de succès ; les Paladins, son dernier ouvrage, allèrent à deux ou trois représentations tout au plus. Lui-même se sentait vieillir. « J’acquiers chaque jour du goût, disait-il, mais je n’ai plus de génie. » Même ses belles créations d’autrefois perdaient du terrain. On avait eu beau renvoyer les Bouffons dans leur pays, et faire exécuter militairement les pièces de Mondonville, avec des factionnaires dans les couloirs, les plaisanteries du Coin de la reine portaient leurs fruits. L’Opéra-Comique, qui venait de fusionner avec la Comédie-Italienne, attirait seul la foule ; l’Opéra restait désert. Les journaux du temps sont remplis de lamentations sur son sort. Ce fut le moment que prit Diderot pour lancer la mordante satire où il se met lui-même en scène, dialoguant avec le propre neveu du musicien. On a beaucoup discuté sur la raison d’être de cet interlocuteur mal connu ; Goethe l’a pris pour une création de fantaisie pure ; M. Gustave Isambert, qui a reconstitué, pièces en mains, l’identité et l’état civil du personnage, éprouve lui-même quelque embarras à justifier le choix qu’en a fait Diderot. La partie musicale du Neveu de Rameau lui paraît une diversion, presque un hors-d’œuvre, au milieu d’une attaque en règle contre les détracteurs de l’Encyclopédie. Il semble cependant qu’à ce dernier titre, Rameau devait avoir une place d’honneur dans le panthéon satirique du philosophe. Un parent pauvre de Rameau, musicien lui-même,