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absolu, qui est libre de faire tout ce qui lui plait, et tout lui rappelait sa dépendance. Il avait un suzerain, et de temps à autre le prince royal de Prusse venait inspecter son armée ; d’autre part, il était en butte aux taquineries de ses chambres, qui lui témoignaient leur mauvaise humeur par de sourdes chicanes, quelquefois par de bruyans éclats. Ce n’est pas un roi de féerie qu’un monarque constitutionnel, et aucun métier n’est moins romantique que le sien. Sa vie se compose de détails épineux à régler, de difficultés journalières qu’il doit résoudre à force d’application, en consultant son bon sens qui lui dit quand il faut céder et quand il faut résister. Ce roi de Bavière se trouvait dépaysé dans son siècle. Comme Hamlet, il pensait que le monde était sorti de ses gonds, et, comme Hamlet, il se sentait impuissant à l’y faire rentrer. Il n’avait point d’Ophélia pour le distraire, et, de jour en jour, il s’enfonçait davantage dans son noir et dans son dégoût.

Les rêves inquiets, a dit un philosophe, sont réellement une folie passagère, et la folie passagère se tourne facilement en folie permanente quand on est le petit-fils d’un roi qui n’avait pas le cerveau très sain et qui a souvent scandalisé son royaume par le cynisme de ses déraisons. Incapable de réagir contre ses fantaisies, Louis II devint leur proie ; les désordres de son esprit se changèrent en de véritables égaremens. Ce noctambule était tourmenté par la plus cruelle des manies, par le délire des persécutions ; il lui semblait qu’hommes et choses s’étaient donné le mot pour lui déplaire et le braver. S’abandonnant à son humeur sauvage, il cherchait le repos dans l’oubli du monde, dans l’oubli de tout. Il s’arrangeait pour s’occuper le moins possible de ce qui se passait à Munich et dans ses chambres. Ses ministres eux-mêmes lui parurent importuns et fâcheux ; il les tenait à distance, ne communiquait avec eux que par l’entremise de ses secrétaires de cabinet, et bientôt ses secrétaires n’eurent plus d’accès auprès de lui ; il ne voulut avoir affaire qu’à des subalternes, à ses valets de chambre, à son coiffeur. Les gens de rien ont cela de commode qu’on n’a pas à compter avec eux et qu’ils n’osent pas deviner ce qui se passe dans votre tête de fou.

Le seul goût qui lui restât était celui de la pierre ; il avait la passion des bâtisses, c’était par là du moins qu’il pouvait ressembler à Louis XIV. Mais, à force de bâtir, il épuisa sa caisse, il dut recourir aux expédiens, aux emprunts, et, le jour où il apprit que ses créanciers demandaient à rentrer dans leur argent, il lui parut que leur impertinence faisait à la royauté un intolérable affront. Le 26 janvier de cette année, il sommait son ministre de l’intérieur de lui fournir 20 millions de marks pour continuer ses constructions, ou de quitter incontinent le pays. Le 17 avril, il commandait à son cabinet de soumettre au parle-