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plein décor des Mille et une nuits. La maison des militaires était une vraie maison, ou plutôt un vrai palais, avec d’immenses pièces richement décorées de tentures et de merveilleux plafonds arabes ; néanmoins, elle ne valait pas celle que nous allions occuper, et qu’on avait choisie la plus belle de toutes, à cause de l’ambassadeur. Cedant arma togœ. A peine avions-nous passé une petite porte basse, flanquée d’un poste de harabas qui nous présentait les armes en faisant retentir les fanfares les plus stridentes de ses clairons, que nous nous trouvâmes au milieu d’un jardin d’orangers, de citronniers, de grenadiers et de rosiers en fleurs, où les plus éclatantes couleurs et les parfums les plus pénétrans semblaient avoir été réunis avec une entente toute orientale. Les fleurs rouges des grenadiers se mêlaient aux fleurs blanches des citronniers ; de subtiles senteurs de roses s’harmonisaient avec l’amollissant parfum de la fleur d’orange ; le tout formait un de ces étranges concerts que Fénelon, dans ses fables, donne aux yeux et à l’odorat des héros qu’il promène à travers les pays de la plus folle fantaisie. N’étions-nous pas nous-mêmes dans un de ces pays ? Les jardins de Fès ne ressemblent en rien à nos jardins d’Europe ; ils n’ont point de plates-bandes, les fleurs n’y sont point alignées avec méthode, elles n’y forment point de figures plus ou moins élégantes ; ce sont beaucoup plutôt des fourrés et des bosquets que des jardins. Les arbustes et les fleurs, jetés au hasard, y viennent où ils veulent et comme ils veulent ; ils s’accrochent les uns aux autres, ils confondent leurs tiges, ils se mêlent et s’entremêlent dans le plus complet, mais aussi dans le plus délicieux désordre. Quelques allées sont tracées dans ces massifs en liberté. Elles vont d’ordinaire en ligne droite ; et, pour que la végétation ne les envahisse pas, on les entoure de treillis peints en bleu, en rouge et en vert. On croirait que ces couleurs sont laides et criardes. Point du tout. Elles se fondent, au contraire, d’une façon très heureuse avec les couleurs environnantes, qui n’en ressortent que mieux. Des plantes grimpantes de toutes sortes, des vignes, des liserons, des jasmins, etc., tapissent la plus grande partie de ces treillis, au sommet desquels sont accrochées des lampes que l’on allume le soir pour éclairer les jardins. De grands arbres, des figuiers, des noyers, des peupliers, des essences que je ne connais point poussent également en tous sens. Ils ont une vigueur inconnue dans nos climats. J’ai vu un simple myrte haut de plus de vingt mètres, alors que les myrtes d’Europe ne sont que des arbrisseaux. Mais ici la nature est aussi puissante que gracieuse. Si la main des hommes ne la défigurait pas, elle charmerait sans cesse les regards par ses productions imprévues.

Notre jardin était disposé en terrasses, qui descendaient le long