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guère d’être prises de la terrible envie de se dévorer. Aux règles qui affectent le mieux le caractère de généralité il y a de curieuses exceptions. En divers lieux du monde, de mignonnes araignées, on les appelle les linyphies, ne craignent pas d’attacher leurs toiles, d’un tissu lâche ou serré, sur le filet aux larges mailles des grosses épéïres. La propriétaire de la grande toile souffre sur son domaine ces parasites d’un genre particulier, qui n’attirent dans leurs réseaux que des moucherons, tandis qu’elle saisit les insectes capables de fournir un copieux repas. Une araignée devenant protectrice des faibles, cela nous éloigne bien des actes de férocité dont de nombreux exemples ne laissent aucune impression agréable.

Telles linyphies aux formes bizarres, ayant dans leur plus beau développement de 4 à 6 millimètres, sont parées, sur un fond brun rouge, de couleurs d’or et d’argent qui brillent à la lumière d’un vif éclat[1]. On les remarque dans le midi de l’Europe et en Afrique, installées sur un mince réseau entre les mailles de la toile d’une superbe épéïre. Durant une période de l’année, ce qui ajoute à la singularité de l’ensemble, c’est la présence de la coque de la linyphie : un tout petit ballon suspendu au filet de l’épéïre par un frêle pédicule. Faut-il donc se défier même de ses commensaux ? On le croirait, après la scène qui s’accomplit un jour sous les yeux d’un observateur. Une épéïre et une linyphie vivaient dans les meilleurs rapports : la grosse araignée fut arrachée de son domaine ; restait le berceau de sa famille, désormais sans défense. Au lendemain, la linyphie avait ouvert le cocon et mangeait tranquillement les jeunes épéïres à peine écloses.


IV

Certaines légions d’araignées, supérieures à toutes les autres, vivant dans l’ombre, paraîtront les plus extraordinaires par les mœurs, les instincts, peut-être l’intelligence. Les espèces, ne fabriquant pas de toiles ont, les unes de pauvres refuges, les autres des demeures assez simples, les autres encore des habitations tout à fait somptueuses. Sous notre ciel, il en est plusieurs qui, dans les endroits dissimulés, confectionnent, d’une soie fine et blanche, d’élégans tuyaux dont elles font une résidence presque permanente. Dans ce groupe, les ségestries comptent parmi les plus belles. La ségestrie florentine, ou ségestrie perfide suivant les

  1. Linyphia argyrodes.