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auteurs, la grosse espèce du genre, est d’un noir superbe avec les antennes-pinces d’un vert émeraude éclatant. Répandue à peu près par toute l’Europe, elle s’établit sous des corniches, dans des fissures de murailles ou des rigoles de rochers. Pendant de longues heures, immobile à l’entrée de son tube, guettant les mouches qui s’aventurent dans le voisinage, elle s’élance sur la proie avec une rapidité vertigineuse, embarrassant de ses fils l’insecte ailé, puis, à reculons, gagne le fond de sa retraite pour faire son repas dans l’ombre. Tandis que les araignées de tout autre type ont huit yeux, les espèces tubicoles n’en ont que six : le philosophe s’en émerveille. Chez la ségestrie, manquent les organes de vision dirigés en arrière ; ils n’eussent été d’aucun avantage pour l’animal emprisonné dans un tuyau fermé à l’extrémité. Ainsi, dans la nature, tout, dans l’organisme des êtres, est approprié à des conditions d’existence dont il n’est possible à aucune espèce de s’affranchir.

Dans les régions intertropicales de l’ancien et du nouveau-monde, plus particulièrement aux Antilles, à la Guyane, au Brésil, habitent les énormes araignées que les colons européens ont appelées les araignées-crabes et les naturalistes les mygales. A la vue de ces animaux armés de robustes crochets et pourvus de larges pattes, on sent que la souplesse et l’agilité s’unissent à la force musculaire. Entre tous les représentans du monde qui en ce moment nous occupe, c’est bien là que tout l’organisme se manifeste dans sa plus grande puissance physique. Les mygales ne produisent qu’une faible quantité de soie, juste ce qu’il en faut pour assurer la marche sur un plan vertical, pour barricader l’ouverture du lieu de retraite, pour lier une proie et réduire à l’impuissance les mouvemens désordonnés d’une victime. Elles ont des griffes simples qui ne sauraient en aucune façon servir d’instrumens de travail. Chasseresses, elles résident dans les creux d’arbres et n’en sortent que pour aller en course. Il a été dit de quelle manière, chez les araignées, les yeux sont heureusement disposés pour rendre le meilleur office dans toutes les circonstances où doit s’écouler la vie de l’espèce. C’est à considérer les grosses mygales qu’on est frappé des étonnantes ressources de la nature. Chez elles, les yeux ne sont pas dispersés comme chez les autres araignées ; au milieu de la région céphalique, une éminence s’élève et sur cette sorte de colline sont groupés les organes de vision ; les deux plus gros en avant, deux de chaque côté, deux en arrière. Aussi, la robuste aventurière est-elle habile à reconnaître à tout instant la proie qu’elle convoite, les êtres qu’elle doit craindre ou mépriser, l’ennemi qu’il faut redouter. Les grandes mygales aux courant