Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/550

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

étrangères, recevait la mission de se rendre à Paris. Le voyage complétait le mariage. Ce n’était plus un simple ambassadeur, surtout l’ambassadeur qui, moins d’une année avant, partait en prisonnier au moment d’une effroyable guerre : c’était le premier personnage de l’Autriche après le souverain, un chancelier d’empire reparaissant, avec le prestige de son titre, de sa fortune nouvelle, des faveurs de cour qui l’entouraient, accueilli partout en homme qui semblait ramener, avec son archiduchesse, une paix qu’on croyait durable. Il était de toutes les fêtes, même de l’intimité de la famille impériale à Compiègne, à Saint-Cloud, comme à Paris. Il n’avait pas de peine à retrouver, dans la société parisienne, des attentions, des succès qu’il avait connus et à démêler bientôt, chez Napoléon, l’orgueil satisfait, la cordialité la plus vive, le désir de complaire en tout à l’empereur François, à l’Autriche, mais aussi la passion dominatrice toujours impatiente, toujours en éveil.

L’apparence était aux plaisirs. Au fond, de ce voyage du premier ministre d’Autriche, qui ne devait d’abord durer que quelques semaines et qui durait six mois, pas un moment n’était perdu. Tout avait son importance dans cette intimité où Napoléon se plaisait à attirer et à retenir M. de Metternich, où s’agitaient entre eux les questions les plus sérieuses. Napoléon mettait une certaine coquetterie à traiter le représentant de l’empereur François en ministre de famille, à se dévoiler devant lui, à lui parler familièrement, avec abandon, de ses vues, de ses projets pour la France aussi bien que des intérêts de l’Autriche. Un instant même, il avait l’idée de faire de M. de Metternich une sorte de médiateur entre lui et le pape Pie VII, alors prisonnier à Savone. La médiation était effectivement tentée et elle n’allait pas bien loin. Napoléon parlait de tout, et une des conversations les plus curieuses est celle qui s’engageait un jour sur l’appel tout récent de Bernadette en Suède. Napoléon se défendait vivement d’avoir favorisé le choix de Bernadette comme prince royal de Suède. M. de Metternich faisait remarquer que l’exemple d’un maréchal montant sur un trône pouvait être contagieux pour ses collègues, et il ajoutait, par une plaisanterie un peu libre, que l’empereur serait obligé de faire fusiller un maréchal pour calmer les idées ambitieuses des autres. Napoléon, sans relever la boutade, convenait du danger qu’il y avait à multiplier ces royautés nouvelles qui l’affaiblissaient lui-même. « Vous avez raison, disait-il; cette considération m’a fait regretter souvent d’avoir placé Murat sur le trône de Naples... Je devais le nommer vice-roi et ne pas même donner des trônes à mes frères, mais on ne devient sage qu’à la longue. Moi, je suis monté sur un trône que j’ai recréé. Je ne suis pas entré dans l’héritage