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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/616

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il n’y a pas d’espace. L’idée de la personnalité ne peut pas non plus s’appliquera l’être infini… Dieu est le cœur de tous les cœurs, l’idée de toutes les idées, la jouissance de toutes les jouissances... » Goethe exprimera la même pensée :


GRETCHEN.

Ainsi, tu ne crois pas en Dieu?..

FAUST.

Quel être doué de sentiment oserait dire: Je ne crois pas en lui! Celui qui contient tout, soutient tout, ne comprend-il pas, ne. soutient-il pas toi, moi, lui-même?..


Ainsi que Leibniz, Herder donne à l’esprit allemand l’universalité, la largeur d’horizon. Les progrès de la linguistique, de l’ethnographie, ont permis de dépasser ses vues sur l’histoire. Il n’est pas non plus un écrivain d’un goût très pur. « Son style, dit M. Karl Hillebrand, est plutôt d’un visionnaire que d’un penseur. » Mais il a ouvert les voies ; ses idées se répandent de Kœnigsberg à Zurich, de Dresde à Gœttingue, où Bürger vient d’écrire sa Lénore et ses premières ballades, où les étudians, assemblés autour des chênes séculaires de la forêt voisine, évoquent les vieux souvenirs nationaux et la mémoire de Hermann le libérateur. Goethe, dans ses Mémoires, a raconté combien fut pour lui féconde sa rencontre avec Herder dans une auberge de Strasbourg (1770), dont l’universiié devenait le centre d’un mouvement littéraire tout germanique.

En Goethe s’unissent et s’harmonisent le travail et la pensée du siècle. « Nous sommes, a-t-il dit, des êtres collectifs, » mais qui pourrait analyser les élémens subtils qui composent un génie si complexe? Cherchons du moins les influences les plus apparentes et les plus voisines. A Winckelmann et à Lessing il doit la première initiation à la beauté antique, à cet art pur de tristesse et de trouble, le sentiment païen qui lui a permis d’exprimer dans les Élégies romaines la sensualité robuste et calme d’un Romain du temps des Césars, cette haute culture qui lui fait a juger le monde du haut du cap Sunium[1]. » A côté du temple grec, Herder lui a révélé la cathédrale gothique aux figures mystérieuses, aux vitraux diaprés, où Gretchen vient gémir aux pieds de la Madone ; — de Klopstock lui vient le sentimentalisme chrétien qui imprègne sa nature païenne ; — de Rousseau ce décor de paysages frais et charmans, les noyers et les tilleuls qui étendent leur ombre sur les molles rêveries de Werther, dans un crépuscule empourpré, et les chênes de Goetz, et les orangers du Tasse, et « cette mer bleue d’Iphigénie

  1. Sainte-Beuve.