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quelque ténébreuse machination. Il se hâta de quitter Bruxelles et de passer en Angleterre, pour faire parvenir de là à la cour de Versailles la nouvelle de ce dont il avait été témoin. Une autre confirmation de la réalité des faits dénoncés fut l’avis que reçut bientôt le marquis de Seignelay, qui était secrétaire d’état de la marine, que la flotte hollandaise avait été aperçue près des côtes de Normandie, et que tantôt elle approchait de la Bretagne, tantôt elle revenait sur sa route, ne faisant que louvoyer, sans rien entreprendre. Le roi d’Angleterre, dans sa dépêche à Louis XIV, relatait une circonstance qui était une nouvelle preuve que le chevalier de Rohan était bien à la tête du complot. Il faisait savoir, nous dit Beauvau dans ses Mémoires, qu’un marchand de Londres avait reçu de la part du comte de Monterey, gouverneur de Flandre, une somme de 100,000 écus, pour la distribuer à ceux que le chevalier de Rohan ordonnerait. Louvois mit toute sa police en campagne, et ses espions lui apprirent qu’un certain tailleur était occupé à confectionner cinq cents habits de gardes du corps, qui étaient presque achevés, sans qu’on sût qui lui avait fait cette commande. Il fut décidé par le ministre, après s’être entendu avec le roi, qu’on saisirait les habits et, ce qui était plus important, qu’on procéderait immédiatement à l’arrestation du chevalier de Rohan et de Latréaumont. On trouva le premier à Paris, où il attendait le retour de Van den Enden, et on le conduisit à la Bastille. Quant à Latréaumont, il était, depuis plusieurs jours, en Normandie, à portée des lieux où il devait agir, travaillant au soulèvement de la province, plein de confiance et de résolution. Il comptait, comme on le voit par ce qui fut dit au cours du procès, sur la facilité avec laquelle on ameute les Français contre l’autorité. À cette époque, La lourdeur des impôts rendait la population encore plus inflammable. Quelques jours avant son arrestation, le chevalier de Rohan disait, en plaisantant, que, pour faire soulever Paris, il n’y avait qu’à prendre un traitant, par exemple, le sieur Berryer, dans une rue ou dans les Halles, lui donner mille coups et crier au peuple qu’on voulait le délivrer d’un maltôtier ! Mais c’était surtout de la noblesse que le chevalier de Rohan attendait aide pour provoquer une sédition. Il prêtait à celle-ci des sentimens fort hostiles au gouvernement de Louis XIV, malgré les adulations dont elle entourait ce monarque. Dans ses conversations avec Van den Enden, il lui avait, plusieurs fois, répété qu’il n’y avait personne à la cour qui aimât le roi.

Parti presque en même temps que le médecin flamand, Latréaumont se cachait à Rouen, au moment où l’ordre fut donné de l’appréhender. Il s’y était rendu à cheval, clandestinement, ayant pour monture une jument que lui avait prêtée le chevalier de Rohan, et