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II. — LE MONDE ET LA COUR.

De ces vues si hautes sur la vie et sur l’homme en général, descendons à un tableau plus particulier de la société humaine et de ce que l’on appelle « le monde, » soit dans ce sens général où il embrasse tous les hommes, soit dans ce sens plus restreint où il exprime surtout une société choisie et raffinée. Bossuet connaît l’un et l’autre ; et sa plume, pour peindre les travers de ce monde délicat et distingué, n’est pas moins souple ni moins cruelle que celle de La Bruyère ou de La Rochefoucauld. Il démasque toutes les illusions, il déchire tous les voiles et perce à jour toutes les vanités. Pourquoi jouirions-nous des méchancetés arides de La Rochefoucauld, parce qu’elles sont sans correctif et sans espoir; et pourquoi ne pas admirer les mêmes tableaux, les mêmes peintures, parce qu’elles ne seraient que le premier plan d’un tableau dont le fond est la pénitence et la conversion? Qu’est-ce que le monde selon Bossuet? « Le monde est une comédie qui se joue en différentes scènes. Ceux qui sont dans le monde comme spectateurs le connaissent mieux que ceux qui y sont comme acteurs. » Voyons donc de près cette comédie, assistons à ces scènes qui s’y jouent : « Quel fracas! quel mélange! quelle étrange confusion! » Bossuet nous décrit les diverses occupations et inclinations des hommes sur un ton qui est un peu celui de la satire. Voici l’avocat : « Celui-là s’échauffe dans un barreau. » Voici le marchand : « Celui-ci, assis dans une boutique, débite plus de mensonges que de marchandises. » Il en est qui passent au jeu la plus grande partie de leur temps. Les hommes du monde proprement dit, les beaux causeurs ont leur affaire ainsi que les intrigans : « Les uns cherchent dans les compagnies l’applaudissement du beau monde ; d’autres se plaisent à passer leur vie dans des intrigues continuelles ; ils veulent être de tous les secrets ; ils s’imposent et se mêlent partout. » Voilà pour les emplois des hommes : même diversité dans leurs inclinations : « Les uns se plaisent dans des emplois violens; d’autres s’attachent à cette commune conversation ou à l’étude des bonnes lettres. Celui-ci est possédé de folles amours ; celui-là de haines cruelles ; l’un amasse, l’autre dépense. Chacun veut être fou à sa fantaisie. »

Le monde a sa morale à lui, ses principes, ses maximes. Rien de plus étrange et de plus habile que sa manière d’enseigner ; rien de plus fort, de plus persuasif, de plus insinuant : « Ce maître dangereux n’agit