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l’envie, « passion basse et obscure, qui ne craint rien tant que de paraître. Ainsi le médisant : il ronge secrètement. » La médisance est comme la guerre; d’abord « elle tire l’épée ouvertement, et ensuite elle va par embûches. » Il y a trois espèces de médisances : celle qui vient de l’envie, celle qui vient de l’orgueil, celle qui vient de la fausse vertu : « La première est basse et honteuse, la seconde fière et insolente ; la troisième trompeuse et hypocrite. » Ce qu’il faut craindre surtout, ce sont les faux rapports « augmentés dans leurs circonstances, disant ce qu’il faut taire, réveillant le souvenir de ce qu’il fallait laisser oublier, ou, par des paroles piquantes et dédaigneuses, aigrissant les frères et les sœurs déjà émus et infirmes par leur colère. »


IV. — LES FEMMES. — L’AMOUR.

Une des matières les plus délicates et les plus glissantes de la morale, parce qu’il s’agit d’une matière où les passions sont chatouillées et excitées par cela même qu’on en parle et qu’on les combat, c’est celle qui touche aux femmes et à l’amour. Aucun moraliste cependant, parmi les modernes, ne s’est privé de toucher à ce sujet ; ils s’y sont même en général complu. La Rochefoucauld lui a consacré de nombreuses maximes, La Bruyère deux chapitres : le chapitre des Femmes et celui du Cœur, Pascal lui-même a écrit son célèbre Discours sur les passions de l’amour. Eh bien ! Bossuet a-t-il sur ce point suivi l’exemple de ses contemporains? Le grand évêque a-t-il osé porter ses regards sur cette question profane? Trouvera-t-on dans ses discours et dans ses écrits des maximes sur l’amour et sur les femmes? Oui, sans doute, et avec la plus grands liberté. N’y cherchez pas la curiosité mondaine et la sympathie secrète ou les souvenirs personnels des moralistes profanes, tels que La Bruyère et La Rochefoucauld, ni ce sentiment passionné qui a une fois enflammé l’âme de Pascal. C’est toujours le prêtre qui parle, le maître des âmes, le directeur des consciences : l’amour est l’ennemi. Mais demandez-lui la peinture des faiblesses de la passion et des faiblesses de la femme, tous ne trouverez rien de plus fort dans nos romanciers modernes ou dans les satiristes de tous les temps.

Bossuet sait, sans en avoir fait l’expérience, quoi qu’en ait dit Voltaire[1], mais par le spectacle des choses humaines, et par

  1. Sur le prétendu mariage de Bossuet, invoqué par Voltaire, voir la très solide dissertation du cardinal de Bausset dans son Histoire de Bossuet; et Floquet : Études sur la vie de Bossuet.