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de Dieu!.. Dieu! les verrai-je toujours triompher dans les compagnies et empoisonner les esprits par des railleries sacrilèges ! » «Mais, leur dit Bossuet dans un mouvement qui rappelle encore un mouvement de Pascal, si vous voulez discuter la religion, apportez-y du moins la gravité que la matière demande. Ne faites point les plaisans mal à propos... Les questions ne se décident pas par vos demi-mots et vos branlemens de tête et par ce dédaigneux sourire. » Mais l’incrédulité n’est pas encore le plus grand mal. Le mal, c’est celui qu’un célèbre écrivain a dénoncé au début de notre siècle : c’est le mal de l’indifférence. « Je prévois, dit Bossuet, que les libertins et les esprits forts pourront être discrédités non par horreur de leurs sentimens, mais par indifférence. »

Bossuet a donc connu et vu autour de lui plus qu’on ne le croirait la libre pensée du siècle suivant ; et de quel ton de hauteur et de mépris n’accable-t-il pas ses faibles adversaires : « Qu’ont-ils vu, ces rares génies, qu’ont-ils vu plus que les autres? Quelle ignorance est la leur et qu’il serait aisé de les confondre, si, faibles et présomptueux, ils ne craignaient d’être instruits ! Car pensent-ils avoir mieux vu les difficultés à cause qu’ils y succombent, et que les autres qui les ont vues les ont méprisées? Ils n’ont rien vu; ils n’entendent rien, ils n’ont pas même de quoi établir le néant auquel ils aspirent après cette vie. » Incomparables paroles, d’une éloquence sans rivale ! Mais n’est-il pas permis de dire aussi que de telles questions ne se tranchent pas non plus par des paroles hautaines et que les difficultés ne sont pas écartées par le mépris? Depuis Bossuet, ce ne sont pas seulement de frivoles jeunes gens, esclaves de leurs passions, qui ont cessé de croire : c’est une suite de nobles penseurs, de savans sérieux, qui n’aspirent nullement au néant et qui ne demanderaient pas mieux que d’obtenir le refuge assuré qu’on leur a promis. Combien cette éloquence si forte contre les petits marquis est froide devant les innombrables objections portées depuis deux siècles contre « cet ouvrage que Dieu a élevé au milieu de nous ! » Mais ne troublons pas l’ordre des temps. A chaque siècle suffit sa tâche. Notre siècle veut de la critique, le XVIIe siècle voulait de l’éloquence ; l’admirable sincérité où vivait un si beau génie que celui de Bossuet avait plus de force pour abattre une incrédulité superficielle qu’une subtile controverse, et d’ailleurs, ce n’était ni dans des sermons ni dans une oraison funèbre que l’on pouvait discuter dogmatiquement un grand problème; et pour nous, qui cherchons ici des peintures de mœurs plus que des raisonnemens, terminons ce tableau avec Bossuet par un trait final : « Qu’est-ce donc que leur malheureuse incrédulité, sinon une erreur sans fin, une témérité qui hasarde tout, un étourdissement volontaire, en un mot un orgueil qui ne peut souffrir son remède? »