Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/855

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éloquence semblable à celle du père Bourgoin, et c’est pour nous une surprise étrange de voir Bossuet tirant sa rhétorique de l’exemple de ce saint homme, si parfaitement oublié. Il parait que cette éloquence avait quelque chose de semblable à ce que Fénelon demandait plus tard dans ses Dialogues sur l’éloquence et que Bossuet lui-même avait précisément au plus haut degré. « La parole de l’évangile sortait de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d’esprit et de feu. Ses sermons n’étaient pas le fruit de l’étude, mais d’une céleste ferveur, d’une prompte et soudaine illumination.» Mais si Bossuet condamne les faux brillans et la recherche de l’éloquence dans les prédicateurs, il condamne aussi dans les auditeurs la curiosité indiscrète, qui ne se nourrit que de cette vaine recherche et qui ne voit dans un sermon qu’un spectacle ou un plaisir de l’oreille. « Ils écoutent la prédication, ou comme un entretien indifférent, par coutume et par compagnie, ou tout au plus, si le hasard veut qu’ils rencontrent à leur goût, comme un entretien agréable qui ne fait que chatouiller les oreilles par la douceur d’un plaisir qui passe. »

Après cette excursion sur le domaine ecclésiastique, revenons au monde et à ceux qui y brillent, qui y règnent, qui en font leur théâtre et leur temple : les riches, les grands, les politiques, et, ce qui était surtout délicat, les maîtres du monde, les victorieux, les conquérans et les rois. Bossuet parle à tous le langage de la vérité. Il peint avec fidélité et énergie les illusions et les misères de toutes ces grandeurs.

De tout temps, le christianisme a paru aux riches un langage sévère et hardi, et même il faut considérer le sentiment religieux qui purifie ces paroles pour n’y pas retrouver un souffle de socialisme révolutionnaire. La richesse inspire même à l’apôtre saint Jacques des paroles si violentes qu’il est difficile de n’y pas voir une sorte de révolte populaire assez contraire à l’esprit du christianisme[1]. Voyez aussi ce que dit saint Ambroise : « La nature a fait le droit commun ; l’usurpation a fait le droit privé... La terre a été donnée en commun aux hommes. Pourquoi, riches, vous en arrogez-vous à vous seuls la propriété? » Que s’étonne-t-on des mots de Pascal : «Ce chien est à moi, disaient ces pauvres enfans. Voilà le commencement de l’usurpation et de la tyrannie sur toute la terre. »

Bossuet n’a pas la violence d’esprit qui caractérise Pascal; mais,

  1. Épître catholique de saint Jacques, II, 6. « Et vous, vous avez déshonoré le pauvre. Ne sont-ce pas les riches qui vous oppriment par leur puissance? Ne sont-ce pas eux qui vous traînent devant le tribunal de justice? »