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plus récente, ont été nommés l’un thulium (île de Thulé), l’autre holmium (holme, île en Scandinave). Enfin, depuis quelques jours à peine, le germanium de M. Winckler a été reconnu digne de clôturer provisoirement la catégorie des substances simples. Moins heureux, l’austrium et le norvégium n’auront pas l’honneur de figurer dans le tableau.

Faut-il admettre que, sauf un petit nombre de matières infiniment rares, tous les corps composés ont été ramenés à leurs constituans simples ? En d’autres termes, que tous les élémens de la nature, enfermés dans des flacons, des bocaux ou des cloches, pourraient être rangés à la file sur une étagère ? Non, car il existe une substance primordiale qui n’a pas encore été isolée avec certitude[1]. On connaît, grâce à des raisonnemens d’une portée presque infaillible, non-seulement ses propriétés chimiques, mais ses caractères physiques les plus essentiels. Et pourtant ce gaz, qu’on sait être difficilement liquéfiable et faiblement coloré, dont la densité est connue avec une approximation satisfaisante, n’a été entrevu que durant quelques secondes, entre deux explosions. Le « fluor, » — tel est le nom qu’on lui a attribué pour indiquer qu’il « coule » (fluere) et se dérobe entre les mains du chimiste trop curieux qui s’efforce de le captiver, — détruit et ronge presque instantanément les vases où il se trouve en liberté provisoire. Gay-Lussac l’avait nommé phtore ou «destructeur. » Ce terme n’a pas prévalu. Les composés fluorés ne sont rien moins que rares et chers ; de plus, ils sont fort nombreux ; mais, en dépit de la variété du choix, fort peu consentent à laisser dégager le gaz hypothétique deviné grâce au génie d’Ampère, et nulle paroi matérielle ne résiste à la force dissolvante des vapeurs émises. Les déboires, les accidens de toute sorte, souvent même occasionnant des morts d’homme (celle des frères Knox entre autres), ont provisoirement découragé les chercheurs.

L’oxygène que nous respirons constitue à peu près le cinquième de notre atmosphère ; mais l’eau des mers, lacs et fleuves contient, en réalité, une masse bien plus considérable de cet élément, quoiqu’à l’état de combinaison. En effet, le poids de l’air, comme tout le monde le sait, équivaut approximativement à celui d’une hauteur d’eau d’une dizaine de mètres dont il faut prendre la cinquième partie. Le poids total du gaz vital est donc représenté par celui d’une couche d’eau épaisse de deux mètres, uniformément répandue sur la surface de la terre. Or les mers, qui recouvrent près des trois quarts du globe et ont certainement plus de cent

  1. Il y a quelques jours, M. Moissan paraît cependant avoir réussi à dégager le fluor de l’acide fluorhydrique par l’électrolyse.