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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/112

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passa sa première jeunesse. Son père était du peuple d’en haut, et allait jusqu’en France pour vendre ses draps. Quant à lui, il faisait libéralement honneur aux florins de Bernardone. Il était très joyeux, écrivent les Trois compagnons : datus jocis et cantibus ; il se promenait de nuit dans Assise, à la clarté des torches, entouré des jeunes gens de son âge, vêtu de beaux habits et tenant à la main le bâton de commandement. La civilisation provençale, dont les troubadours enseignaient les raffinemens à la péninsule entière, égayait alors les cités italiennes. François semble s’être souvent servi du français, c’est-à-dire du provençal, comme d’un idiome plus noble que le dialecte de l’Ombrie. Ce fils de bourgeois, nourri de romans français, de fabliaux et de sirventes, rêvait même de chevalerie et de grandes aventures dans les bandes de Gauthier de Brienne. «  Je serai un grand baron, » disait-il souvent à ses amis.

Cependant, mille impressions douloureuses, l’âpreté de son père, l’égoïsme de ces laborieux bourgeois, les misères qu’il rencontrait à chaque pas, les pauvres qui s’amassaient à la porte des églises, les lépreux qui erraient dans les champs, les dangereux pèlerins qui rôdaient autour des bourgs, et, le soir venu, se transformaient en voleurs, les serfs fugitifs, qui mendiaient « pour l’amour de Dieu ; » tous ces spectacles, chaque jour renouvelés, étendaient une ombre sur ses plaisirs. Il dut comprendre très vite que la ruche italienne, si ingénieuse et si vivante, n’était point également hospitalière à toutes les abeilles. Cent ans plus tard, quand les factions politiques des gibelins et des guelfes, employant à la fois, comme une machine de guerre, les haines de familles et de quartiers et la mortelle rancune des misérables contre la bourgeoisie, eurent mis le feu à toute l’Italie centrale, les poètes et les historiens n’eurent aucune peine à découvrir, dans l’état social de leur pays, ces deux élémens inconciliables : la dureté de cœur des grands et l’envie des petits. « Ta ville, dit un damné à Dante, est si pleine d’envie, que voilà le sac qui déborde. » — « Les faibles, écrit Compagni, étaient trop opprimés par les forts. » Villani dira même, à propos des incendies qui ravagèrent Florence vers la fin du XIIe siècle : « Nos bourgeois étaient trop gras et vivaient dans le repos et l’orgueil. » Mais Florence devançait dès lors les autres villes par la sûreté de sa logique révolutionnaire tout autant que par sa civilisation. Partout ailleurs, aux premiers temps des communes, si, pour employer un mot tragique de Dante, « on en vient au sang, » ce n’est point encore par la simple guerre sociale. Le mécontentement des nobles ou des bourgeois, dont le régime municipal étouffe la liberté personnelle, et la colère des popolani, pour qui se ferment les cadres des classes privilégiées, se manifestent plutôt par le malaise reli-