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française, et, l’approchant de près, il le trouvait noble avec bonne grâce, magnifique sans mauvais goût, majestueux avec aisance. En effet, la partie du règne qu’il lui fut donné de connaître est pure de fautes et d’excès ; il ne vit ni ce degré suprême d’orgueil et d’égoïsme où l’adulation porta peu à peu Louis XIV, ni les fastueuses folies de Versailles, ni les guerres inconsidérées, ni la misère succédant aux fautes du dedans et du dehors. Il vit, au contraire, l’ordre et la prospérité remplaçant le désarroi universel de la Fronde, la cour la plus brillante que le monde ait connue, de grands artistes et de grands écrivains formant comme une éclatante parure à la royauté; au dehors, la victoire et le respect. Pouvait-il, comme Français, être mécontent du présent et désirer un meilleur avenir? Pouvait-il, comme comédien, désirer une protection plus active ?

La manière dont il parle du roi et de lui-même ne laisse aucune place à l’incertitude. Non qu’il motive ses éloges comme Boileau et célèbre la gloire du roi en la décrivant : une seule fois, il prend texte d’un événement déterminé, et compose sur la première conquête de la Franche-Comté un sonnet assez médiocre. En tant que poète comique, dans le prologue de l’Amour médecin, dans les vers du Divertissement royal, dans le sixième intermède des Amans magnifiques, il se contente d’employer les formules de flatterie en usage dans les ballets ; et, tout ce qu’on peut dire de ces vers de circonstance, c’est que, très faibles de facture, car ils ont été écrits très vite, ils conservent une certaine mesure dans l’adulation : une seule fois, dans le Malade imaginaire, il a forcé la note; mais, on le verra, ce n’était pas sans motif. Ses éloges ne tirent à conséquence que lorsqu’il parle en son propre nom ou de ce qui le regarde; alors, ils sont d’un vrai poète et respirent la sincérité. En 1663, la pension qu’il a reçue lui fournit matière à un spirituel tableau de la cour, à un charmant portrait de Louis XIV. Qui ne connaît ces derniers vers du Remercîment au roi?


Dès que vous ouvrirez la bouche
Pour lui parler de grâce et de bienfait,
Il comprendra d’abord ce que vous voudrez dire,
Et se mettant doucement à sourire,
D’un air qui sur les cœurs fait un charmant effet,
Il passera comme un trait.
Et cela doit vous suffire :
Voilà votre compliment fait.


A leur grâce et à leur finesse, on dirait du La Fontaine, n’était une franchise et une liberté de touche qui sentent bien leur Molière