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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/321

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contre un coup de force, mais rien ne disait que la France serait toujours en état de la sauver d’une mort violente, et à plus forte raison d’une fatale décomposition.

L’Italie, plus sage, moins impatiente, aurait pu attendre de l’avenir ce que le présent lui refusait et laisser Rome venir à elle attirée par la communauté d’origine et de sentimens, par la juxtaposition géographique, par la fusion des intérêts matériels. C’était le conseil que lui adressait son grand ministre du haut de la tribune du parlement de Turin, à la veille de sa mort, dans la séance du 26 mars 1861. Pour aller à Rome, disait-il, il faut s’entendre avec la France. Nous irions à Rome, sans affecter l’indépendance de la papauté, que même dans ce cas nous ne pourrions y aller malgré la France. Si nous pouvions le faire matériellement, sans qu’elle pût s’y opposer, nous devrions encore respecter sa volonté. Les bienfaits que nous avons reçus de la France nous font une loi de ne pas agir contre sa volonté. On me dira que nous n’atteindrons pas notre but ; mais, si nous pouvons assurer l’indépendance du pape, la France ne fera pas d’opposition.

L’Italie, au lieu de respecter le testament de l’homme d’état qui avait présidé à son relèvement, a préféré profiter des désastres de la France, qui lui avait donné l’essor, pour pénétrer dans Rome par la brèche ensanglantée de la Porta Pia.

L’attitude du comte de Bismarck se modifia subitement au lendemain des déclarations du gouvernement impérial au corps législatif; il était garanti désormais contre tout retour à l’alliance de 1859. Il n’avait plus de motifs pour contre-carrer la conférence, elle était mortellement atteinte par le jamais de M. Rouher, son intérêt lui commandait maintenant de nous faire oublier son mauvais vouloir.

« Je ne saurais dire, écrivait M. Benedetti, combien M. de Bismarck se montre aujourd’hui affable, courtois, et combien sa parole diffère du langage qu’il me tenait hier encore. Son but est atteint, il n’a plus à craindre le rétablissement de notre intimité avec l’Italie, dont il se réserve l’alliance ; il est certain que notre liberté d’action restera entravée. »

Les évolutions du comte de Bismarck étaient soudaines, déconcertantes.


G. ROTHAN.