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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/345

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de ces études d’exploration dont les érudits de profession s’arrogent le monopole.


I. — LA LANGUE CATALANE.

L’homme de France qui a connu le mieux la Catalogne et les Catalans était un des plus gros savans du XVIIe siècle. Docte magistrat, profond jurisconsulte, habile théologien, controversiste retors et polémiste redoutable, Pierre de Marca. une des lumières de l’église gallicane, fut aussi un grand politique. Diplomate consommé, il semblait prédestiné aux négociations délicates et aux missions de confiance. Sa capacité pour les affaires se montra notamment dans le poste de surintendant de Catalogne, qu’il remplit durant sept ans (1644-1661), à la satisfaction générale des Catalans, qui adoraient cet administrateur gascon, au service de Mazarin. Pour obtenir son retour à la santé, dans une maladie grave, ils firent un vœu à Notre-Dame de Montserrat, et décrétèrent publiquement des actions de grâce. Il fut consacré prêtre à Barcelone, et devint successivement évêque de Conserans, archevêque de Toulouse, puis de Paris, après la démission du cardinal de Retz. Lors du traité des Pyrénées, son rare savoir le fit adjoindre aux commissaires nommés exprès pour régler la question des frontières entre l’Espagne et la France, du côté du Roussillon. Comme il était bon grec, ainsi qu’on disait alors, il servit d’interprète pour des passages controversés de Strabon et de Pomponius Mêla, dont l’autorité fut invoquée dans la détermination des anciennes limites de la Gaule. À cette occasion furent réunis les matériaux d’un des plus admirables monumens de l’érudition patiente et solide, qui vit le jour après la mort du prélat, par les soins pieux du diligent Etienne Baluze, lui-même érudit de la grande école, sous le titre général de Marca Hispanica (1688). C’est un répertoire de documens précieux, un traité complet de géographie et d’histoire, fondé sur la diplomatique. On y voit clairement qu’il est plus aisé d’amasser des preuves en vue d’une thèse que de déterminer géométriquement la ligne fictive des frontières. En bien des points, les pays limitrophes sont indistincts à cause de la configuration du sol. Les hautes chaînes qui courent le long de deux nations voisines présentent bien deux versans ; mais que de passages communs, combien de gorges, de défilés, de vallons encaissés dans la montagne, qui facilitent des deux côtés les communications et la contrebande ! Quiconque a touché tant soit peu aux annales des provinces basques, de la Navarre, de l’Aragon, de la Catalogne, a senti la difficulté de séparer nettement des contrées qui se pénètrent, se confondent, entrent