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de timidité et d’impuissance? Évidemment par son attachement intempestif à des opinions rétrospectives et à des préjugés rances ; de même que les démocrates intolérans, par l’ignorance et le mépris de la tradition. Les partis extrêmes tendent visiblement à s’émanciper, à se soustraire à l’autorité centrale ; mais en s’efforçant de secouer le joug de Madrid, la tyrannie castillane, comme on dit là-bas, les uns sont dévoués à la papauté, et les autres à la commune. Noirs et rouges obéissent à des tendances contraires et à des passions véhémentes. Dans ce conflit, les modérés, impuissans malgré leur sagesse, se voient honnis et conspués par les intransigeans. Tel est le milieu. Tous les efforts individuels les plus méritoires ne sauraient aboutir sans un concours de forces vives qui n’existe point. Indépendamment de la division des partis et des prétentions locales, il n’y a que trop de tiraillemens dans les principaux centres littéraires, et particulièrement dans le plus actif, où toute sorte de préoccupations mesquines, soit dans les livres, soit dans les feuilles quotidiennes et périodiques, trahissent cette diathèse grave et incurable, si heureusement définie par Martial, provincialium rubigo dentium. Comme s’ils étaient en proie à l’odacisme de la rage, les polémistes se mordent à belles dents en attendant que la décentralisation soit un fait accompli, et que la centralisation recommence sous une autre forme.

Grande, riche et belle ville, glorieuse de son passé, Barcelone n’aspire point à descendre, loin de là; mais elle n’a pas encore su reprendre le rang d’une cité capitale des lettres. Peut-être n’y remontera-t-elle qu’en élargissant un peu plus son horizon par une conception moins étroite de la commune et de la province, et par une vue plus nette des nécessités présentes. Si l’initiative de la restauration littéraire lui appartient sans conteste, si elle a donné l’exemple et produit des modèles en plus d’un genre, il faut reconnaître, d’autre part, que la direction du mouvement lui échappe, et qu’au lieu de l’ordre qui fonde, l’anarchie inféconde tend à s’établir dans son sein en permanence. Les procédés révolutionnaires deviennent trop familiers à ces littérateurs militans et entreprenans qui ne semblent douter de rien, et qui se figurent que les poètes et les écrivains s’improvisent comme les généraux en temps de révolution. Ce sont ces sans-culottes de la moderne littérature catalane qui la compromettent gravement, en attendant qu’ils la ruinent ; car l’entreprise, sagement commencée il y a une quarantaine d’années par des hommes sérieux et modestes, après avoir progressé avec lenteur, est lancée depuis deux ou trois lustres sur une pente qui l’entraîne fatalement à la liquidation ou à la faillite. C’est un de ces cas pathologiques qui se terminent sans faute par la mort, à moins d’une réaction imprévue dans le sens de la vitalité normale. Fonder des sociétés pour l’exploration