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des lieux remarquables, pour la découverte et la conservation des monumens, pour la recherche et l’impression des documens, pour la collection des chants populaires, des vieilles légendes, bref, pour la restauration des antiquités ou des antiquailles nationales, rien de mieux; si ces associations, patriotiques en somme, peuvent se soutenir et durer un peu plus que tant de feuilles éphémères, qui n’ont pas laissé trace de leur passage parce que rien ne les appelait à naître. Permis de faire encore tout ce qui se peut raisonnablement pour donner vie et durée au théâtre, aux beaux-arts, aux belles-lettres, en vue de satisfaire une ambition nationale aussi légitime que louable. Ce sont là de nobles efforts. Mais ce qui paraît moins raisonnable, s’il faut le dire, c’est cette fièvre de production hâtive qui encombre le marché et qui assimile l’art et la littérature à une industrie. Ville de fabriques où domine la population ouvrière, Barcelone compte nombre d’ateliers où le travail littéraire ressemble beaucoup trop à la fabrication de la toile et des meubles. La littérature démocratique et populaire est aux mains de manœuvres pleins de foi et d’inexpérience qui travaillent à la diable, comme des illettrés. Stérile fécondité qui se chiffre par un peu moins de six cents auteurs et plus de mille pièces de théâtre. Cette rage de produire tant de choses absurdes, insignifiantes ou plates se pourrait comparer à une de ces fièvres éruptives de caractère épidémique contre lesquelles l’inoculation ne peut rien. La vaccination littéraire a propagé la contagion à un tel point que les principales villes de Catalogne, réveillées de leur antique quiétude par l’exemple de Barcelone, rappellent la folie des Abdérites, si spirituellement décrite par Lucien. Pour parler sans détour, l’œuvre laborieuse de la renaissance catalane, gravement compromise par la division malheureuse des partis politiques et religieux, détournée de son but par les imprudences des impatiens et des présomptueux, dénaturée misérablement par les enfans perdus de la muse prolétaire, déshonorée par les sottises de la basse bohème des lettres, tourne depuis quelque temps à la mascarade. Jugement dur, mais vrai.

A cette agitation en pure perte, comparable aux folies du carnaval, ceux-là seuls pourraient mettre un terme qui prirent jadis l’initiative et la direction du mouvement. Rude tâche, par ce temps de folles licences, où l’égalité démocratique tend manifestement à porter toujours plus bas le niveau des esprits, comme si l’abaissement collectif était une condition nécessaire de fraternité et de concorde; comme si l’élite des intelligences ne devait pas maintenir, conserver, perpétuer en pleine démocratie une aristocratie sans titres, une noblesse sans privilèges et cette tradition de haute culture, sans laquelle les peuples ne sont que des agglomérations passibles de la