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qu’ils feraient injure à leur perspicacité. Il écouta le roi sans sourciller, il prit acte de ses confidences, il se plut à les considérer comme un gage certain pour le succès du congrès. C’était plus que ne souhaitait Victor-Emmanuel ; mis au pied du mur, il prétendit que le vent avait tourné, que la cour de Rome s’était ravisée, que les derniers événemens avaient ulcéré le pape et le cardinal Antonelli et qu’il n’y avait plus lieu de compter sur leur bon vouloir.

« Je n’ai pas besoin de rappeler, écrivait M. de Malaret, qu’on s’exposerait à de sérieux mécomptes, si l’on prenait à la lettre les paroles de Sa Majesté ; il est reconnu et accepté en Italie qu’Elle a l’imagination féconde. Il convient donc de ne pas se monter la tête sur la correspondance que le roi dit avoir échangée avec le pape. Il n’y a rien à conclure non plus des explications qu’il a cru devoir me fournir sur ses préparatifs militaires. Je n’ai, cela va sans dire, aucun motif de penser qu’en augmentant son armée et sa marine, il veuille se mettre en garde contre nous ; mais je ne voudrais pas répondre non plus que ses arméniens soient faits uniquement, comme il me l’a dit, en vue du secours que l’Italie, en fidèle alliée, nous apporterait le jour où nous serions en guerre avec la Prusse. Je crois que le gouvernement italien, quelque bienveillant qu’il soit pour nous, se préoccupera à ce moment beaucoup plus de ses intérêts que des nôtres, ce dont on ne saurait, d’ailleurs, lui faire un crime. »


IV. — LA FRANCE ET l’ITALIE APRÈS MENTANA. — LA QUESTION ROMAINE. — LES OCCASIONS MANQUEES.

Les gouvernemens s’étaient rapprochés; mais, des deux côtés des Alpes, les passions avaient peine à se calmer. Le déchirement avait été trop profond pour ne pas laisser de traces au fond des cœurs. Les ardens, en Italie, voulaient qu’on rompît les relations diplomatiques avec la France, qu’on prît vis-à-vis d’elle l’attitude irrédentiste que le Piémont, en d’autres temps, avait prise vis-à-vis de l’Autriche. Ils oubliaient que, si Charles-Albert et Victor-Emmanuel avaient pu braver l’Autriche, c’est qu’ils avaient la France derrière eux pour les protéger. Les habiles disaient qu’il fallait dévorer l’outrage, mais préparer la vengeance ; ils affilaient les poignards avec lesquels ils espéraient, soutenus par des complices, nous frapper un jour. Les catholiques, en France, n’étaient pas moins avides de représailles. Ils réclamaient des garanties formelles pour la conservation du pouvoir temporel, et ces garanties, ils ne les trouvaient que dans la restauration de l’état des choses avant 1859. « Laissons les alliances perfides, disaient-ils; le cri de la France et de l’Europe indigènes nous a poussés à Rome; restons-y. » —