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IV

On a vu, dans les pages qui précèdent, au prix de quels efforts ; la France a obtenu pour les missions de Chine un régime très satisfaisant en droit et suffisant en fait pour leur permettre de prendre de sérieux développemens. On a vu l’importance qu’elle a attachée, cette année même, à garder intact son rôle de protectrice du catholicisme. Pourquoi, dira-t-on, le gouvernement français, quel qu’il soit, république ou monarchie, a-t-il suivi si fidèlement cette politique ? Pourquoi encourage-t-il une propagande qui déplaît aux Chinois ? N’aurait-il pas avantage à se dégager de sa clientèle catholique pour se préoccuper seulement des questions dont l’intérêt est palpable et immédiat ?

C’est là un grand problème qui mériterait d’être étudié en détail, car il touche aux plus hautes questions de notre politique étrangère. Le protectorat, religieux est, depuis de longs siècles, une tradition constante de la politique française. Lié intimement à notre histoire, il est comme un vestige du rôle qu’a joué notre pays à l’âge héroïque des croisades, il est le dernier souvenir de cette époque étrange où les chevaliers français se taillaient des principautés, des royaumes, jusqu’à un empire dans l’Orient soudainement latinisé. Depuis ce temps reculé, la France a été la première puissance catholique du monde. La vieille formule : Gesta Dei per Francos, résume la pensée qui régnait dans ces siècles de foi, où l’on regardait notre pays comme l’instrument que Dieu avait choisi pour exécuter ses desseins. De ce passé lointain date l’union du saint-siège et des rois très chrétiens, union souvent troublée, mais qui renaissait, après chaque crise. La France a représenté dans le monde le principe même du christianisme, elle a été la plus complète et la plus belle expression de la civilisation chrétienne. Quoi que l’on puisse penser aujourd’hui du christianisme, nul ne niera qu’il n’ait été notre grand éducateur. C’est parce qu’elle en était le représentant devant le monde musulman que la France a pris et gardé une place unique dans les régions que baigne la Méditerranée. Le temps n’est pas bien loin où, sans que nous eussions occupé l’Algérie, cette mer, était presque un lac français, puisque c’était sous notre pavillon que se plaçaient les navires étrangers pour commercer en pays turc. De ce passé glorieux il nous reste, le protectorat religieux. C’est vers la France, vers son ambassadeur à Constantinople, vers ses consuls dans les ports ottomans, que se tournent les chrétiens