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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

au temps de sa splendeur, trois millions d’habitans, en garda quelques milliers. Les vieilles familles avaient disparu, et les Goths, lorsqu’ils massacrèrent, avant de périr, les otages qu’ils avaient rassemblés en troupeau, portèrent le coup de grâce à la noblesse romaine. Au temps de Justinien, il restait encore des sénateurs, des gloriosi et des magnifia ; à la fin du VIe siècle, le nom n’est plus prononcé que par ceux qui évoquent les vieux souvenirs. Les monumens n’ont point été détruits par système. Les temples, que les lois protègent contre les démolisseurs, dépérissent dans l’abandon, visités par le Tibre, délabrés par l’usure, ou bien dégradés par la main des papes avec la permission de l’empereur. Longtemps ils ont gardé des fidèles ; pendant un des sièges d’Alaric, des augures toscans avaient promis que la ville serait sauvée si le sénat sacrifiait au Capitole ; en plein VIe siècle, au fort de la guerre gothique, on apprit un matin avec stupeur que les portes du temple de Janus avaient été ébranlées : quelque brave homme, un fidèle de l’antiquité, avait jugé que, puisqu’on était en guerre, il était irrégulier que ces portes fussent fermées ; il s’était levé la nuit pour les ouvrir, mais la rouille les avait scellées. Ces attardés devinrent de plus en plus rares, puis ils disparurent ; les Romains gardèrent maintes coutumes et superstitions païennes, mais ils firent profession d’orthodoxie, et ce fut un sujet d’orgueil pour la cité que la foi constante, inviolée, intemerata fides, de son évêque. Ainsi peuple, monumens, religion, tout s’est évanoui ou demeure à l’état de fantôme.

Dans cette ruine poussait lentement la ville pontificale. Les basiliques s’élevaient entre les temples abandonnés, ou bien la religion nouvelle prenait possession de quelque sanctuaire pour l’employer à son usage. La division de Rome en quatorze quartiers a disparu : sept quartiers se sont formés, dont chacun était la circonscription d’un des sept diacres de l’église romaine. Quand la population se réunit pour quelque manifestation pieuse, elle se groupe autour des basiliques. Le jour où Grégoire le Grand ordonne une procession expiatoire pour obtenir la cessation de la peste, les clercs partent de la basilique des Saints Côme et Damien ; les moines, de la basilique des Saints Gervais et Protais ; les religieuses, de la basilique des Saints Marcellin et Pierre ; les enfans, de la basilique des Saints Jean et Paul ; les hommes, de la basilique de Saint-Étienne ; les veuves, de la basilique de Sainte-Euphémie ; les femmes mariées, de la basilique de Saint-Clément. Les sept troupeaux de fidèles, dont chacun était conduit par les prêtres d’une des régions, se dirigèrent, vêtus de noir, voilés et encapuchonnés, vers Sainte-Marie-Majeure. Ces grandes pompes mélancoliques, ces cérémonies et