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ÉTUDES SUR L’HISTOIRE D’ALLEMAGNE.

c’est un aventurier qui veut se faire empereur ; c’est l’exarque lui-même qui essaie d’usurper l’empire ; c’est Rome qui pourvoit souverainement à sa propre sécurité ; c’est Ravenne enfin, qui tue l’exarque et subit un châtiment atroce, car une armée s’empare de la ville, pille, massacre et emmène à Constantinople nombre de prisonniers qui meurent dans des raffinemens de torture : parmi eux était l’archevêque, « à qui on brûla les yeux en les lui faisant fixer sur un bassin d’argent rougi au feu, dans lequel on versa du vinaigre. » De pareilles répressions accroissaient la haine du nom byzantin, et cette haine, au VIIIe siècle, n’est point dangereuse à qui la professe, car Byzance n’est plus en état de punir. Tout comme à Rome, apparaissent en Italie des êtres nouveaux : les principales cités ont leurs « armées ; » après le châtiment de Ravenne, George, fils d’un des suppliciés, arme ses concitoyens ; il est une sorte de capitaine du peuple et il réussit à faire une confédération de villes. Les écrivains contemporains parlent d’une « milice de toute l’Italie, » qui se réunit vers l’art 701 pour marcher contre l’exarque, ou bien « de la généralité de la province d’Italie, » même « d’une délibération de toute l’Italie, pour savoir s’il ne convient pas d’établir un empereur. Omnis Italia consilium iniit ut sibi eligerent imperatorem. C’est comme le début de la polyarchie italienne, avec le sentiment, qui se perdra plus tard, d’une communauté de patrie. La Péninsule n’en est pas encore à rêver la complète indépendance ; car, si elle voulait faire un empereur, c’était « pour le conduire à Constantinople ; » mais, tandis que les Byzantins la considèrent comme une province exploitable au même titre que les autres, elle se souvient de sa dignité de terre qui a produit et porté tant d’empereurs.

Dans ce pays qui se transforme comme sa vieille capitale, l’évêque de Rome semble déjà jouer le premier rôle. S’il a cessé d’être à la discrétion de l’empereur, c’est parce que les Italiens s’arment au besoin pour le défendre. En l’année 537, Bélisaire a pu enlever de Rome, après l’avoir laissé insulter par sa femme Antonine, le pape Silvère, qui avait encouru la disgrâce de l’impératrice Théodora. Un siècle après, lorsque Constant II voulut faire subir le même sort à Martin Ier, il y mit plus de façons : l’exercitus était déjà là, et il recommanda de grandes précautions à son égard ; il fallut que l’exarque s’y reprit à deux fois : pourtant il finit par exécuter les ordres qu’il avait reçus. Il se rendit à Rome en force ; le pape envoya le clergé au-devant de lui, mais resta au Latran, prétextant la goutte. Le lendemain, l’exarque trouve le palais gardé, l’investit et y pénètre ; Martin était couché dans son lit devant l’autel, où il s’était fait porter ; à la lecture d’un décret impérial qui ordonnait sa déposition, il répond par l’excommunication, mais