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Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/958

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moment où il y a, pour ainsi dire, excédent d’hommes, ce ne serait rien ; tous les partis, sauf les socialistes, donneraient probablement leur vote. Ce sont les impôts nouveaux nécessités par une dépense nouvelle qui seront difficiles à obtenir. La discussion, en première lecture, s’est terminée par la nomination d’une commission de vingt-huit membres, et, jusqu’ici, les opinions semblent assez partagées. Le gouvernement ne peut compter que sur les conservateurs et les nationaux libéraux. Les socialistes sont décidément hostiles. Le chef du parti progressiste, M. Eugène Richter, qui a prononcé un savant et substantiel discours sur l’état militaire des diverses puissances de l’Europe, ne paraît pas disposé à accepter les projets du gouvernement sans y introduire de sérieuses modifications dans l’intérêt du contrôle parlementaire. Le chef du centre catholique, M. Windthorst, a réservé son vote, et les catholiques ne donneront vraisemblablement pas leur appui sans condition, sans avoir quelque garantie pour l’abrogation de ce qui reste des lois du Culturkampf. En un mot, à n’observer que les dispositions apparentes des partis, le résultat du scrutin ne serait jusqu’ici rien moins qu’assuré ; mais les réserves des partis ne sont peut-être pas le point le plus important dans une question qui touche à la politique de l’empire, à un intérêt tel que la puissance militaire de l’Allemagne. Le dernier mot de ces graves discussions n’est pas dit, et, en attendant, ce qu’il y a de plus significatif, c’est le langage tenu par le ministre de la guerre, le général Bronsart de Schellendorf, surtout par le grand taciturne, le vieux feld-maréchal de Moltke, qui a cru devoir rompre un long silence et intervenir par un de ces discours faits justement pour raviver les inquiétudes.

A la vérité, le ministre de la guerre de Berlin, le général Bronsart de Schellendorf, s’est défendu de laisser entrevoir un danger imminent ; il s’est borné à invoquer devant le Reichstag des nécessités défensives, les armemens des autres puissances, de la France, de la Russie, en réservant des explications plus détaillées, plus précises pour les délibérations intimes de la commission. Il en a pourtant dit assez pour qu’on en puisse conclure que les complications possibles de politique extérieure ont dû hâter les mesures qu’on propose aujourd’hui, et ce que le ministre de la guerre n’a pas avoué tout à fait, M. de Moltke l’a dit sans détour, sans réticence, avec une rudesse soldatesque. Le vieux feld-maréchal prussien n’a point hésité à dire que l’Europe s’épuisait en armemens, que l’Allemagne n’avait qu’à regarder à droite ou à gauche pour se trouver en face de voisins formidablement armés, armés de telle sorte qu’un pays même riche ne peut porter longtemps le poids de pareilles dépenses. La conséquence, à ses yeux, est que la force des choses conduit à des conflits prochains et inévitables pour lesquels l’Allemagne doit être toujours prête. Le danger, pour lui, vient d’abord évidemment de la France, et éventuellement de la Russie. L’alliance de l’Autriche,