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comme de morale privée, de métaphysique comme de psychologie, et gardant, dans toutes ces questions, son caractère « séculier, » son indépendance de tout dogme et de toute église ; 2° imposer à cette philosophie séculière une doctrine uniforme, non sans doute dans tous ses détails, mais dans ses principes généraux et dans sa méthode ; 3° maintenir, sur l’enseignement privé lui-même, l’autorité de l’Université et par conséquent, l’autorité de la philosophie universitaire, de la doctrine universitaire.

Ce dernier point a été l’erreur capitale de M. Cousin. Il n’admettait pas la liberté d’enseignement, ou du moins il ne l’acceptait qu’avec des réserves excessives. C’était alors l’opinion dominante dans le parti libéral. C’est encore aujourd’hui l’opinion dominante dans le parti démocratique. C’est aussi, — et j’en ai beaucoup de regret. — l’opinion d’un certain nombre de philosophes. Si M. Janet la répudie, M. Fouillée la professe, et il s’efforce surtout de la justifier pour l’enseignement philosophique[1]. Je suis, quant à moi. D’un sentiment tout contraire. Je crois cette opinion insoutenable en principe, et, si elle pouvait invoquer de bonnes raisons pour les autres branches d’enseignement, je la repousserais absolument pour la philosophie. Je ne veux la considérer ici qu’à la lumière de l’expérience.

L’opinion publique n’a jamais prêté un très vif intérêt à la question même de la liberté d’enseignement. Elle n’y voyait du temps de M. Cousin, elle n’y voit encore de nos jours que la rivalité de l’université et du clergé, et, suivant ses préférences, elle se prononce pour l’un ou l’autre des deux rivaux, dans un intérêt politique ou religieux, auquel l’amour de la liberté pour elle-même n’a aucune part. Les adversaires du monopole universitaire, sous la monarchie de juillet, l’avaient bien compris. Ils ne s’arrêtaient pas à plaider directement la cause de la liberté; ils attaquaient l’enseignement universitaire, et ils l’attaquaient surtout là où il leur paraissait le plus vulnérable, sur le terrain de la philosophie. Ils réussissaient ainsi à inquiéter les familles religieuses, sur lesquelles ils avaient naturellement le plus d’action. Ils alarmaient aussi, d’une façon plus générale, les familles conservatrices, qui, sans obéir à une foi bien ardente, se défiaient d’une philosophie en lutte ouverte avec la foi religieuse. On croit volontiers aujourd’hui que la philosophie de M. Cousin était l’expression fidèle des idées qui dominaient dans la bourgeoisie française de 1830 à 1848. La vérité est qu’elle était beaucoup plus contestée que de nos jours dans les portions les plus éclairées de cette bourgeoisie et dans le parti même dont M. Cousin était un des chefs. M. Janet a rappelé

  1. Dans son livre : la Propriété sociale et la Démocratie. livre IV. chapitre II.