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cheminé en aveugle parmi les différentes nations avec lesquelles il se trouva d’abord en contact. Mais, grâce à l’intelligente femme placée à son côté, il sut, dès ses premiers pas, sur quel terrain favorable à son ambition et à ses desseins il marchait. Ce fut la belle Indienne, d’abord son interprète, puis sa conseillère et enfin son amie, qui lui apprit qu’une rivalité séculaire séparait les Aztèques des indomptables Tlaxcaltèques, et ce fut elle encore qui, par son tact délicat de diplomate féminin, lui donna pour auxiliaires les nombreuses cohortes de ces fiers républicains. Inappréciables services que ceux-là; car, sans la neutralité des Totonaques, maîtres du littoral atlantique, sans l’aide des Tlaxcaltèques et des peuples alliés à leur fortune, Cortès, en dépit de son incontestable génie, en dépit de l’épouvante causée par la vue de ses chevaux ou par le bruit et les effets meurtriers de ses canons, qui le faisaient apparaître aux yeux de ses naïfs adversaires comme disposant de la foudre, n’eût pu avoir raison ni du nombre, ni du fanatique courage des soldats de Moteuczoma. En un mot, ce nom si glorieux d’Hernand Cortès, sans le dévoûment, sans la perspicacité, sans l’habileté de la femme qui préserva celui qui le portait de mainte embûche, ne nous serait probablement connu que par quelque sombre désastre dont le douloureux souvenir tiendrait encore l’Espagne en deuil.

Ce ne put être une femme d’une intelligence ordinaire que celle qui, placée dans les circonstances exceptionnelles où se trouva doña Marina, sut à la fois conquérir la reconnaissance des différentes nations aux prises, nations dont l’une, à la rigueur, pouvait la considérer comme traîtresse à sa race, sinon à sa patrie. Sous la double forme que prit peu à peu le gracieux nom que lui donnèrent les Espagnols le jour où ils la baptisèrent, doña Marina, devenue doña Malina pour les Aztèques, qui n’ont pas la consonne R dans leur alphabet, est demeurée aussi vivante, aussi souriante dans la mémoire des conquérans que dans celle des peuples qu’ils ont asservis. Les historiens espagnols, — j’appuie sur ce fait tout à leur honneur, — n’ont jamais essayé d’amoindrir la part qui revient à doña Marina dans la conquête du Mexique; tous, au contraire, ont loyalement admis cette vérité. D’un autre côté, les Aztèques, — ils ont eu des historiens dès le lendemain de la mort de Moteuczoma, — n’ont jamais parlé d’elle qu’avec une reconnaissance attendrie. C’est un fait acquis, indiscutable, que, si la jeune femme servit avec ardeur les desseins politiques du capitaine dont elle s’éprit et dont elle adopta les croyances religieuses, elle s’opposa toujours avec énergie à ses rudesses, à ses cruautés, en se plaçant entre lui et les vaincus.

En s’instituant l’auxiliaire des Espagnols, il importe de ne pas