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voulurent recueillir l’enfant. Mais il fut impossible de l’obtenir. Le père véritable ne voulait pas intervenir, et la mère adoptive (s’il est permis de profaner ce nom) ne voulait pas la rendre. Tout ce qu’on put obtenir fut la promesse qu’elle la ferait élever ailleurs. Je gage qu’elle l’aura placée dans une maison religieuse, car lui ayant demandé moi-même comment cet attachement si passionné avait pris naissance, elle me répondit : « Je suis sa marraine. C’est moi qui l’ai tenue au baptême. »

Un autre soir, nous tombâmes dans un autre quartier de Paris, au milieu d’une orgie qui avait mis toute la maison en rumeur et en liesse. Cependant, dans un coin de la salle, une femme, seule vêtue d’une façon décente, sanglotait bruyamment. Nous crûmes d’abord qu’elle était ivre, mais ces sanglots persistans ayant à la fin attiré notre attention, la femme fut interrogée, et voici l’histoire qu’elle nous raconta. Quelques années auparavant, lorsqu’elle vivait libre, elle avait eu un enfant. Cet enfant demeurait avec son père, mais à chacune de ses sorties elle allait le voir et versait entre les mains du père une partie de ses honteux gains. Ce jour même, à sa visite habituelle, elle avait trouvé maison vide. Le père avait déménagé, défendant expressément qu’on donnât à la mère l’adresse de son nouveau logis. De là ce désespoir presque bestial dont l’expression était déchirante. Le chef de la sûreté qui nous accompagnait (pourquoi ne dirais-je pas que c’était alors l’intelligent et humain M. Macé) lui adressa quelques paroles de consolation, tout en lui faisant entrevoir l’espérance que des recherches pourraient être entreprises pour lui faire retrouver son enfant : « Ah ! monsieur, répondit-elle dans un sanglot, vous me dites cela parce que vous êtes bon et que vous voyez que j’ai de la peine. Mais je sais bien ce que je suis, allez ! et que ce n’est pas à une femme comme moi qu’on peut rendre son enfant. » Ce jugement de déchéance porté par une mère sur elle-même, n’est-ce pas le cri de la conscience réveillée, et ce sentiment d’humilité ne vaut-il pas mieux pour le pardon que bien des confessions orgueilleuses? Sans doute, la pauvre créature sera retombée le lendemain dans la fange dont elle avait peut-être espéré sortir. Le train de son immonde vie lui aura fait oublier jusqu’à son désespoir et ses larmes. Mais, pendant une heure, elle avait compris le repentir et accepté la douleur. Qui sait s’il en faut davantage pour racheter une âme?


HAUSSONVILLE.