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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/222

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N’étant pas inventeur, il était naturel, et même nécessaire, que sa veine ou inspiration fût rare et difficile. Je crois bien qu’il était paresseux, je l’ai du moins entendu dire, mais il l’était sans délices, et il convient donc de l’en plaindre plutôt que le lui reprocher. Une preuve assez claire de son infécondité, c’est de le voir lui-même se copier sans scrupule, reproduire, dans Valcreuse, une page entière de Mademoiselle de Kérouare, par exemple, et dans la Maison de Penarvan une page entière de Valcreuse, à son tour. Une autre preuve encore, c’est que, dans la collection de la Revue des Deux Mondes, il est, je pense, le seul romancier dont les romans aient dû subir une interruption de publication : les lecteurs devaient pester contre lui, mais, lui, combien plus contre lui-même ! d’ailleurs, je ne dis rien du petit nombre de personnages qu’il a su faire vivre, toujours un peu les mêmes, et, trop souvent, engagés dans une fable très simple, mais qui ne différait pas assez des précédentes. Cela lui a du moins servi, en y revenant avec conscience, avec amour, avec acharnement, à réaliser enfin deux ou trois figures inoubliables, d’une vérité singulière et d’une grande valeur historique, puisque c’est de quoi surtout nous savons gré, — pour quelque temps sans doute encore, — à nos romanciers. Quelques coins de la France, quelques traits de la société contemporaine, quelques momens du siècle, Sandeau les a presque mieux vus, plus habilement et mieux rendus que Balzac; et ce n’est pas peu dire.

Marianna, qui parut en 1839, est le premier roman de Sandeau qui ait fixé l’attention; et plusieurs bons juges y voient encore aujourd’hui son chef-d’œuvre. C’est une espèce de confession, comme tout le monde sait; et, pour cette raison, quand elle serait la seule, Marianna conservera toujours un réel intérêt : parce que Sandeau y en confesse d’autres en même temps que lui. Le portrait de Marianna, par exemple, vivra sans doute aussi longtemps que l’on se souviendra d’elle, et du bruit qu’elle a fait en passant dans le monde. « Élevée aux champs, qu’elle désertait pour la première fois, ses manières offraient un singulier mélange de hardiesse et de timidité; parfois même elles affectaient je ne sais quelle brusquerie pétulante qui venait d’une secrète inquiétude et d’une ardeur inoccupée. Familière et presque virile, son intimité était d’un facile accès; mais sa fière chasteté et son instinctive noblesse mêlaient au laisser-aller de toute sa personne des airs de vierge et de duchesse qui contrastaient d’une étrange façon avec son mépris des convenances et son ignorance du monde... Tout révélait en elle une nature luxuriante qui s’agitait impatiemment sous le poids de ses richesses inactives. On eût dit que la vie circulait, frémissante, entre les boucles de son épaisse et noire chevelure. On sentait comme un feu caché sous cette peau brune, fine et transparente. Son front net et pur disait bien que les orages de la passion n’avaient point grondé