Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/441

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

menaçant s’est formé entre ses deux sourcils. Elle se rassied, prend dans son pupitre une feuille de papier, d’où émane un parfum capiteux, et écrit les mots suivans : « Vous n’êtes qu’un grand enfant; j’ai tout oublié. La politique sera désormais exclue de nos entretiens, je compte sur vous demain. »

Elle met ce pli dans une enveloppe qu’elle cachette en cire rouge.

A la vue de cette missive contaminée, Didier n’hésite pas à frapper un grand coup ; sans l’ouvrir, il la glisse dans une autre enveloppe sur laquelle il écrit simplement l’adresse de la vicomtesse.

Le lendemain à cinq heures et demie du soir. Mme Dolbeska, vêtue d’une robe de velours noir, debout près d’une table, sert une tasse de thé à l’un de ses habitués : au même instant, on remet un pli à la maîtresse de maison ; elle reconnaît l’écriture de Didier et croit savoir ce que le billet renferme. joie ! ô bonheur! la victoire est gagnée ! Le lion, évidemment, ne demande qu’à venir de nouveau se faire rogner les griffes. Sans ouvrir l’enveloppe, elle la met dans la ceinture russe qui enserre sa taille svelte et élégante, souple comme un jonc ! Aussitôt après le départ de son dernier visiteur, elle s’empresse de déchirer l’enveloppe; la difficulté qu’elle rencontre à retirer le contenu la surprend. Soudain elle pâlit, elle tressaille ; ses yeux restent démesurément ouverts. C’est sa propre lettre que Didier lui retourne sans en avoir rompu le cachet ! Cet affront fait monter une rage froide au cœur de la vicomtesse ; elle se jure à elle-même de se venger de M. D’Aumel ; en le poursuivant de ses calomnies acharnées, elle donnera à leur rupture un motif tout contraire à la vérité ; elle l’humiliera, le bafouera, le persécutera sans pitié ; la lime a bien raison de fer, l’eau finit bien par entamer le marbre !

L’occasion d’exercer sa vengeance ne tarda pas à s’offrir à Mme Dolbeska; un de ses amis vint un jour la trouver et abordant sans ambages l’objet de sa visite, il s’expliqua en ces termes :

— Chère vicomtesse, j’ai à vous entretenir d’une affaire qui m’intéresse au plus haut point. L’un de mes amis, M. Devrage, s’est mis en tête de marier ma fille à M. D’Aumel; sur le front de ce jeune homme sont peints l’honneur et l’intelligence ; mais le bonheur dépend de beaucoup d’autres choses encore, en premier lieu du caractère. Dites-moi, je vous prie, ce que vous savez du sien. Quel est-il?

— Charmant.

— Son genre de vie, ses goûts?

— Ses succès à l’école de droit témoignent d’un esprit sérieux et donnent à croire qu’il ne songe qu’au travail et au devoir ; mais puisque vous me le demandez, le mien est de vous dire, que malgré les apparences, la femme qui l’épousera jouera gros jeu.