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dans les années suivantes, époque où fut créée notre école d’Athènes, j’ai fait à cheval de quinze à dix-huit cents lieues dans toutes les parties du royaume : je n’y ai pas vu un seul édifice ayant laissé un souvenir dans mon esprit. Il n’y avait de routes nulle part, sauf celle d’Athènes au Pirée; pas de ponts, on passait à gué les rivières ; il y avait pourtant sur l’Eurotas un pont turc, dont l’arcade du milieu était si haute, qu’il fallait descendre de cheval pour la gravir. Le pont sur le Crathis, au littoral d’Achaïe, composé d’arches en accolade, était rompu; ses deux fragmens avaient été rejoints par quelques poutres; on osait à peine y passer. Le pont de Caryléna s’élevait en dos d’âne sur le lit encaissé de l’Alphée. Quant aux routes, il n’y en a pas encore beaucoup aujourd’hui, mais en 1847 il n’y en avait pas du tout. Les Turcs, ou leurs prédécesseurs, avaient pavé certains sentiers de deux mètres à peine; les hachis de toute fonction avaient chevauché là-dessus avec leurs bruyans harnais et leurs costumes dorés ; mais ces chaussées n’avaient pas été entretenues et, quand nous en rencontrions quelqu’une, nous passions soigneusement à côté.

Il n’y avait pas en Grèce une seule grande église. Le peuple hellène, conservateur zélé de sa religion, avait dû se contenter de petites chapelles, à la vérité très nombreuses, mais dont beaucoup tombaient en ruines. Aujourd’hui encore le sol de ce pays en est couvert ; un grand nombre servent d’abri à des bergers et à leurs troupeaux. Les églises fréquentées étaient bien pauvres : à Mégares, qui comptait plusieurs mille habitans, j’ai vu sonner la cloche, qui consistait en un fragment de jante de roue; à l’intérieur de l’église, on avait pour flambeaux des tronçons de branche d’arbre formant une triple fourche; cette fourche était le pied du flambeau. Je laisse à penser ce qu’était le mobilier des maisons. À cette époque, je n’ai vu de lit que dans un très petit nombre de ménages; le plus souvent on couchait à terre sur quelque natte et tout habillé; peu de meubles, une grosse malle pour les vêtemens, un berceau, sorte de huche d’une seule pièce. Point de vitres aux fenêtres. Je me souviens d’une certaine nuit passée à Lala, ville totalement détruite, au pied de l’Erymanthe; nous avions pour gîte la maison ruinée qu’avait occupée le pacha d’Arcadie ; c’était une longue et vaste chambre, garnie de volets branlans et où les trous d’échafaud des maçons s’étaient rouverts. Le vent soufflait avec rage sur ces hauts plateaux, il traversait la chambre comme un grillage, et les pauvres habitans, pour nous bien recevoir, passèrent une bonne partie de la nuit à boucher les ouvertures avec leurs vêtemens.

Si j’entre dans ces détails, ce n’est point par amour du pittoresque,