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mal venus, malingres et inutiles, qui seraient morts en naissant et dont on prolonge l’existence, sans bénéfice pour la société. Autrefois, il s’opérait, dans les premiers temps de la vie, une sélection qui ne permettait qu’aux organisations robustes d’arriver à l’âge de la reproduction, et la race se trouvait ainsi maintenue et fortifiée. Il y a là un fonds de vérité comme dans presque tous les paradoxes. L’augmentation de la durée moyenne de l’existence tient surtout à la conservation des enfans, le fait est incontestable; mais ce ne sont pas seulement les faibles que l’hygiène conserve : les maladies éruptives, la diphtérie, les entérites enlèvent les uns comme les autres, et les petits êtres qu’on a quelque peine à soustraire à la mort, pendant les premières années, deviennent souvent des hommes robustes et utiles à la société. Les épidémies, d’ailleurs, n’avaient pas autrefois les ménagemens qu’elles montrent aujourd’hui; elles frappaient aveuglément sur les forts comme sur les faibles, et c’est déjà quelque chose que de les avoir amenées à choisir. Si les populations n’ont pas aujourd’hui la vigueur et la résistance de celles qui nous ont précédées, cela ne tient pas à ce qu’on a laissé vivre des gens qui auraient dû mourir ; cela tient au bien-être exagéré, à la vie trop confinée, à l’abus des émotions et du travail intellectuel, à l’existence trop intense, en un mot, des sociétés très civilisées. Il ne faut donc pas regretter que les maladies infectieuses se montrent plus clémentes pour les jeunes générations, qu’on ne perde plus, comme autrefois, trois enfans sur cinq, car il n’est pas de père de famille qui n’aime mieux conserver les siens chétifs et un peu nerveux que d’en perdre la moitié, afin que les autres soient plus robustes.

Il est, du reste, bien autrement facile de renforcer la constitution des jeunes sujets que de les arracher aux griffes des épidémies. Avec les habitations salubres, l’air pur, la bonne nourriture que nous pouvons leur donner aujourd’hui, il suffirait de changer leur genre de vie, de renoncer au mode d’éducation détestable où la routine nous force encore à nous traîner ; il suffirait de faire prédominer les exercices physiques, la vie au grand air et l’hydrothérapie dans l’éducation des deux sexes ; de leur apprendre à ne pas redouter comme aujourd’hui le froid, le chaud, la gêne et la douleur ; de ne plus surmener l’intelligence des garçons, de ne plus surexciter le système nerveux des filles, pour avoir, au bout de deux ou trois générations, une population plus affinée, plus élégante, et tout aussi solide et aussi résistante que celles du passé. Ce n’est pas la débilité des enfans conservés par nos soins qui constitue le danger, ce n’est pas dans le défaut de sélection que gît le péril social, c’est dans la diminution croissante de la natalité. Dans les temps désastreux dont j’évoquais tout