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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/629

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à l’heure le souvenir, les épidémies alternaient avec les famines et des guerres incessantes brochaient sur le tout. Tous les fléaux étaient déchaînés sur l’humanité et passaient sur elle comme la faux dans l’herbe ; mais, lorsqu’ils avaient terminé leur sinistre moisson, il y avait un tel débordement de vitalité, une telle exubérance de production, qu’il suffisait de quelques années de trêve pour rétablir l’équilibre, et, à travers ces oscillations, le flot de la vie montait toujours. En dépit de tous ses malheurs, la France voyait s’accroître chaque année sa population, tandis qu’aujourd’hui qu’elle n’a plus à compter avec toutes ces calamités, elle la voit s’arrêter dans sa marche. Le nombre des naissances y dépasse à peine celui des décès, et il est à craindre que le recensement de 1886, dont le résultat sera bientôt connu, ne nous réserve encore quelque cruelle surprise. C’est là qu’est le péril social, et ce n’est pas l’hygiène qui pourra le conjurer. Elle peut empêcher de mourir, mais elle ne peut pas contraindre à naître.

Cette digression m’a quelque peu éloigné des villes d’autrefois et il est temps d’y revenir. Leur transformation a mis chez nous bien des siècles à s’effectuer. Lorsque l’ordre commença à régner dans le pays, que les routes devinrent plus sûres, le vieux châteaux firent peu à peu tomber leurs murailles et leurs ponts-levis ; les villes, qui avaient jusqu’alors étouffé dans leurs enceintes, commencèrent à les franchir à leur tour pour déborder dans la campagne. Des maisons s’élevèrent sur le bord des chemins, qui devinrent peu à peu des rues. N’étant pas gênées par le défaut d’espace, elles s’entourèrent de jardins, d’enclos, de bosquets, et constituèrent, à côté de la vieille cité, une ville nouvelle où l’air, la lumière et la verdure pénétrèrent à la fois. Les constructions purent se développer en largeur, et exposer aux regards des façades moins étroites et mieux percées. Les progrès de l’architecture donnèrent satisfaction aux intérêts de l’hygiène et à ceux du bien-être. Les faubourgs, de récente création, devinrent promptement le séjour de l’aristocratie ; mais le commerce resta fidèle à ses vieux quartiers, à cause de leur position centrale. Ces derniers s’assainirent quelque peu sans perdre leur caractère primitif, et, dans la plupart des villes de province, les deux parties sont encore distinctes. Chacun de nous a pu voir, dans son enfance, des rues et des maisons répondant encore à la description que j’ai tracée tout à l’heure et où les conditions de salubrité laissaient autant à désirer.

Enfin, dans ces dernières années, les grandes villes elles-mêmes ont senti le besoin de se donner de l’air, d’élargir leurs voies de circulation et de percer de larges trouées à travers leurs vieux