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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 79.djvu/806

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convient de sévir, — il n’y aurait peut-être que demi-mal, — mais c’est naturellement à ses chefs hiérarchiques, à d’autres soldats que parviennent ses rapports; ils ne sont transmis qu’en dernier lieu à l’autorité politique; — or, ces autres soldats, l’inaction leur pèse, ils se demandent s’ils sont venus en Tunisie pour y faire l’office de gendarmes, ils rêvent campagnes, razzias, périls, s’exagèrent très naturellement les moindres incidens qui pourraient toucher à la dignité du drapeau ; — Leur susceptibilité est en éveil. — Dans ces conditions, il est bien difficile aux administrateurs indigènes et européens de poursuivre paisiblement leurs réformes lentes et successives; une sorte d’état de siège perpétuel paralyse le développement du pays ; suspendue continuellement sur toutes les têtes, l’épée de la répression frappe quelquefois un peu trop vite et risque de provoquer plutôt que de prévenir l’insurrection. Sans doute le résident a toujours la ressource d’intervenir, d’exercer son action modératrice, à la condition qu’il en soit encore temps ; — maison tout cas, en face de lui, qui réclame la paix, se dresse le général en chef qui ne peut guère se dispenser de soutenir son corps ; — un conflit éclate donc un jour ou l’autre infailliblement.

Ces conflits retentissans, lamentables, disons-en deux mots, tout de suite, pour n’en plus parler; — ils ont encore d’autres causes que la difficulté d’exiger des militaires en pays conquis un esprit à la fois martial et politique, puisqu’ils éclatent très souvent même entre civils ; — La vérité est que, à moins de tout savoir, de tout prévoir, nul ne les évitera jamais complètement. Une période de transition troublée par mille difficultés de ce genre menace tout établissement colonial à ses débuts. A quel moment l’armée ou la marine cesse-t-elle d’être au premier rang, quand doit-elle céder la place, elle qui a déblayé le terrain à ceux qui vont y semer? Quand sonne l’heure de l’abnégation complète après la victoire? Qui répondra nettement à cette question ?

Contentons-nous de savoir que la France n’est pas seule à avoir ses conflits. Toute nation, dans des circonstances analogues, se heurte aux embarras que produisent des attributions mal définies ; — Les embarras s’augmentent avec la distance. Sans chercher dans l’histoire du monde entier tant d’exemples entre lesquels on n’a qu’à choisir, rappelons-nous l’apparition du pavillon allemand sur la côte occidentale d’Afrique en 1884 ; un fonctionnaire civil, le consul général Nachtigal, avait été chargé par son gouvernement d’aller prendre possession des territoires où il jugerait que ses nationaux avaient le plus d’avantages à s’installer. Il partit de Lisbonne sur un bâtiment de guerre, la Moëwe; avant même d’avoir pris la mer, il était en conflit avec le commandant du bâtiment,