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très dangereuse[1]. » Dans ses Réflexions sur la tactique, Frédéric II affiche un mépris d’assez mauvais goût pour « ces hommes aussi féroces qu’ineptes, et qui ne méritent pas, ajoute-t-il, qu’on les nomme. » La vérité, c’est que ces gens innomables avaient fait preuve de beaucoup de solidité, et que « le service russe n’était plus si loin de la perfection, puisque, dans une guerre contre le roi de Prusse lui-même, les armées d’Elisabeth et de Catherine avaient eu de signalés avantages[2]. »

Ce n’était pas le nombre, en tout cas, qui leur faisait défaut. En 1772, lors du partage de la Pologne, l’ensemble des forces russes s’élevait déjà, milice et cosaques compris, à 350,000 hommes, dont la moitié, il est vrai, nécessaire aux lignes du Caucase, en Finlande et sur le Pruth[3].

Comme la Russie, les Turcs manquaient surtout d’officiers instruits ; mais ils a avaient immensément de tout ce qui est nécessaire pour la guerre et pour la faire longtemps : hommes, argent, munitions, subsistances, artillerie; et si la constance ne les abandonne pas, écrivait Vergennes[4] au retour de son ambassade à Constantinople, il est vraisemblable que, même en essuyant des défaites, ils réussiraient à réduire l’orgueil de la Russie. »

L’Espagne, toute dégénérée qu’elle fût, et bien qu’elle eût fait assez triste figure dans la récente guerre de Portugal[5], ne laissait pas d’avoir encore cent et quelques mille hommes sous les armes[6].

Le corps germanique en avait toujours fourni de trente à quarante.

La Hollande en entretenait presque autant sur le pied de paix et pouvait en doubler le nombre: l’expérience l’avait prouvé.

La Sardaigne n’avait pas moins de 22,000 hommes de troupes réglées pouvant être aisément et promptement augmentées d’un tiers par l’appel de 12,000 hommes d’excellentes troupes provinciales qui s’étaient acquises, dans les dernières guerres, presque autant de réputation que nos grenadiers royaux[7].

Il n’était pas jusqu’à Naples, enfin, dont l’état militaire ne fût

  1. Mirabeau, Système militaire de la Prusse.
  2. Favier, Conjectures raisonnées sur la situation actuelle de la France...
  3. C’est le chiffre de Grimoard. Celui de Favier s’en rapproche beaucoup. Ceux qui donne Jomini, pour 1792, sont beaucoup plus faibles : 200,000 habitans seulement non compris les Cosaques ! et tans doute aussi la milice. Quant à Sybel, il porte 300,000 hommes la force active de la Russie sous Paul Ier.
  4. Mémoire sur la Porte ottomane, publié par Ségur.
  5. Favier, II, p. 244.
  6. Servan, Mémoires sur les moyens offensifs et défensifs de l’Espagne.
  7. Favier, III. p. 32.