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d’abîmes, de bétoires, et appelés en Provence scialets, ragagés, avens, tindouls ; dans le Jura, emposieux ; dollines dans les montagnes de la Carniole, de la Croatie, de la Dalmatie, où elles sont innombrables ; chasmata chez les anciens Grecs, et katavothra chez les modernes ; swallow holes dans le nord de l’Angleterre. De telles cavités exercent un véritable appel sur les eaux de la surface et les font disparaître, pour les ramener quelquefois au jour en sources exceptionnellement volumineuses. On pourrait les signaler par centaines dans beaucoup de régions de la France, quoiqu’un nombre relativement très petit se trahisse par un affleurement apparent. Ces vides intérieurs s’alignent souvent avec les dislocations du sol, auxquelles ils se rattachent comme des effets de fractures, corrodées et arrondies ultérieurement par les eaux. Dans la chaîne du Jura, les grottes de la Baume correspondent à une série d’entonnoirs et d’enfoncemens, sur le prolongement desquels naît la rivière la Seille. Il en est de même du Lison du Jura, du Lison du Doubs et de bien d’autres.

Le calcaire jurassique de la Charente montre des gouffres plus ou moins profonds, dont les bouches sont béantes et où la Tardoüere et le Bandiat disparaissent à la hauteur de La Rochefoucauld pour ressortir plus loin en bouillonnant et donner naissance à la Touvre. Dans les départemens du Var et des Alpes-Maritimes, de nombreux scialets alimentent, par des dérivations cachées, de très fortes sources surgissant du fond de la mer, non loin du littoral. Le calcaire qui circonscrit le Mont-Ventoux est criblé, sur une bande de 70 kilomètres, de puits naturels et d’abîmes souvent insondables, dont beaucoup portent des noms connus dans les légendes locales. Les eaux que ces roches ont emmagasinées se déversent au point le plus bas et donnent naissance, dans une grotte pittoresque, à la volumineuse fontaine de Vaucluse, considérée autrefois comme une divinité bienfaisante. Comparé à la hauteur des pluies en diverses stations du bassin, le débit moyen de la source fait ressortir un volume d’infiltration égal aux six dixièmes environ de la quantité d’eau pluviale. Le calcaire situé sous la vallée de la Loire, à la hauteur d’Orléans, est sillonné par des courans internes, auxquels sont directement empruntées les eaux qui alimentent aujourd’hui ce chef-lieu. Le point où commencent les pertes souterraines est à 40 kilomètres en amont de la ville ; à 30 kilomètres en aval, les eaux perdues sont intégralement rentrées dans le fleuve. Citons encore, dans le département de l’Eure, l’Iton, qui, sur plusieurs kilomètres, cesse de couler à la surface, et prend le nom de Sec-Iton ; des excavations ont fait retrouver ses eaux dans leur cours souterrain, à la profondeur d’une vingtaine de mètres. Des faits du même genre se remarquent dans toutes les parties du globe. Aux