puisse déposer dans l’imagination des impressions durables et douces dont il n’ait point à se repentir.
Cependant les sculpteurs, pas plus que les peintres, ne se sont montrés insensibles à ce grand souffle de vie qui agite le monde moderne ; ils ne se sont pas plus qu’eux soustraits à ces besoins de rajeunissement qui sont la condition même de l’existence des arts. Rude et Barye étaient depuis longtemps revenus à l’observation sincère et naïve de la réalité, alors que la plupart des peintres oscillaient encore de la tradition académique à la convention romantique. La génération qui les a suivis, en remontant, pour ses études techniques, aux floraisons premières de l’art à Athènes et à Florence, n’a fait qu’accentuer encore son amour pour les manifestations les plus simples de la nature. Comment se fait-il que ce qui trouble tant les peintres ne soit pour les sculpteurs qu’une cause de progrès plus régulier ? Comment se fait-il que ceux-ci apportent en général, dans l’emploi des élémens nouveaux fournis par la vie populaire, l’histoire, l’archéologie, une prudence et un goût qui leur ménagent tant de succès ? A quoi faut-il attribuer ces résultats heureux ? Est-ce à la simplicité salutaire de leur art qui exige une conception claire, une forme nette, une apparence durable ? Est-ce aux nécessités inflexibles de leur métier qui leur impose la précision des connaissances anatomiques et la longueur de la réflexion, par suite même de la durée du travail matériel ? À ces diverses causes réunies, sans doute, mais plus encore, disons-le à leur honneur, au bon sens des maîtres qui n’ont cessé de tenir la tête de notre école, puisque aussi bien nous ne sommes pas le seul pays où l’on aime et cultive la sculpture, et cependant nous sommes le seul ou les sculpteurs modernes se soient si facilement et si simplement, par une évolution aussi mesurée que décisive, délivrés des formules vieillies ou étroites, sans compromettre un seul instant la force et l’avenir de leur art, comme on l’a fait ailleurs, par la recherche des effets pittoresques, l’affectation des pratiques habiles, l’abus des expressions sentimentales.
C’est par les sculpteurs que l’idée de la beauté est entrée dans l’art et qu’elle s’est répandue par le monde ; c’est par les sculpteurs qu’elle y vit encore. Le jour où les ouvriers du marbre pur ne chercheraient plus à en faire sortir des formes parfaites, le jour où les Pygmalions ne verraient plus aucune différence entre la femme réelle et leur insaisissable Galathée, l’enchantement où vivent les imaginations cultivées serait bien près de tomber et l’art lui-même bien près de s’éteindre. Dieu merci, nous n’en sommes pas là ; malgré bien des désertions, le nombre est grand encore chez nous des sculpteurs qui gardent l’amour de la beauté. Tous ceux qui sont nés avec la vocation réelle, tous ceux qui sont épris du rythme