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tant méprisée de Platon, est précisément ce qui nous en offre le type, l’idéal réalisé. Une connaissance universelle des choses serait une sensation universelle, une conscience universelle, un éclair illuminant la totalité de l’abîme et, au lieu de s’évanouir, se fixant en un jour sans fin.

S’il en est ainsi, les états de conscience ne diffèrent pas, comme le croient les platoniciens et péripatéticiens, en ce que tantôt ils seraient et tantôt ne seraient à aucun degré des connaissances; ils diffèrent simplement en ce qu’ils sont connaissances de plus ou moins de choses, en ce qu’ils enveloppent une vérité plus ou moins large. La vérité de la sensation n’est qu’un point; voilà sa réelle infériorité[1].

Mais, si l’intellectualisme abstrait est un point de vue incomplet, ce n’est pas à dire que le sensualisme exclusif suffise à expliquer la connaissance. Outre qu’il ne rend compte ni de la sensation même, ni de l’émotion, le sensualisme, en ramenant la formation de la pensée à un jeu d’impressions passives et reçues toutes faites du dehors, méconnaît la part de la réaction motrice dans le cerveau. Il ne voit pour ainsi dire dans l’acte réflexe que la première moitié, qui est l’excitation ; il ne voit pas la seconde, qui est la réaction motrice déterminée par l’appétit de l’être vivant. Comme les intellectualistes, les sensualistes sont portés à négliger le caractère moteur des états de conscience, le point de vue de la volonté. Nous croyons que la nouvelle psychologie devra insister de plus en plus sur cet aspect des faits intérieurs, dont nous avons montré plus haut l’importance[2].

C’est l’oubli de cet élément qui rend inexplicable à la fois pour l’intellectualisme et le sensualisme l’acte par excellence de la pensée : l’affirmation. Dans tout état de conscience, dans toute sensation, à côté du sentiment passif de l’excitation, il y a toujours la conscience plus ou moins obscure de l’opération, de l’impulsion volontaire et motrice. Cette conscience est manifeste dans les mouvemens des membres et du tronc ; elle l’est moins déjà dans les mouvemens imperceptibles de l’œil ou de l’oreille ; elle l’est moins

  1. l’opposition trop absolue des opérations sensitives et des connaissances intellectuelles se retrouve dans le remarquable ouvrage de M. Élie Rabier intitulé Leçons de psychologie, où de plus l’auteur n’a point fait une part suffisante à la doctrine de l’évolution. La lecture de ce livre, ainsi que des livres analogues de M. Janet et de M. Charles, n’en est pas moins propre à faire mesurer tout le chemin parcouru par l’enseignement de la philosophie en France depuis une vingtaine d’années.
  2. Les phénomènes moteurs ont déjà une place plus considérable, quoique insuffisante encore, dans deux livres remarquables qui viennent de paraître : Sensation et mouvement, de M. Féré, Essai de psychologie générale, de M. Richet.