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théorique. D’après le prince de Lichtenstein et ses amis, le travail est un office public ; la loi doit garantir aussi bien à l’ouvrier qu’au fonctionnaire l’avancement hiérarchique, la retraite. Tout ceci ne laisse pas de provoquer d’assez vives résistances de la part des ouvriers ; certaines provinces ont accepté le nouveau régime et en ont tiré parti ; dans d’autres, les petits artisans réclament plus encore, afin d’entraver l’essor de la grande industrie et l’importation étrangère, empêcher le public de préférer le bon marché aux produits solides et durables. Des conservateurs éclairés ont observé qu’avec ces corporations si différentes des anciens corps de métiers, les hommes religieux se trouvent noyés dans la masse des libres penseurs ; ils se demandent si, pour les grandes villes au moins, le système de la corporation libre et privilégiée ne vaut pas mieux que celui de la corporation obligatoire. A la vue d’un tel spectacle, l’Autriche semble de plus en plus à certains économistes l’empire de l’invraisemblance, toujours en retard d’une idée, d’un progrès, d’une année.

La législation allemande ne témoigne pas moins de l’intervention constante de l’état dans les Innungen : elle établit la corporation obligatoire pour un but déterminé, l’assurance garantie par des mutualités de patrons, personnes morales qui peuvent acquérir, s’obliger, ester en justice. Ainsi les lois de 1883 et 1884 ont eu surtout pour objet de rendre forcée l’assistance mutuelle ; chaque gilde fournit à ses membres le traitement médical et les remèdes, une indemnité pécuniaire en cas de maladie, une indemnité des frais de funérailles, une pension viagère en cas d’incapacité de travail survenue sans faute grave de l’ouvrier, des secours aux veuves, des subventions pour élever les orphelins. Chefs d’industrie et compagnons contribuent aux caisses, la cotisation des patrons s’élevant à la moitié au moins des versemens des ouvriers ; d’accord avec ceux-ci, ils déterminent le taux des subsides et des secours, qui, en cas de désaccord prolongé, est fixé par le conseil local élu pour moitié par les concessionnaires, pour l’autre par les plus anciens ouvriers. A peine entrée en vigueur, la nouvelle organisation des assurances a donné des résultats remarquables ; au 1er janvier 1886, on comptait 57 sociétés corporatives, représentant 186,697 ateliers et 2,844,219 ouvriers assurés. Inutile d’ajouter que ces mesures ne satisfont personne, ni les patrons, qui se plaignent d’une centralisation excessive, de l’invasion de la bureaucratie dans leurs affaires ; ni les ouvriers, qui remarquent que la loi de 1884 les isole, supprime entre leurs patrons tout lien de solidarité, abolit pour eux le droit commun, et fait d’eux en quelque sorte des instrumens qu’on répare, s’ils sont avariés, (qu’on paie s’ils sont brisés. D’ailleurs,