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farouche, et qu’on pouvait encore égayer. On en sortait le soir pour aller jouer la comédie, sous la conduite d’un exempt, qui ramenait le prisonnier ou la prisonnière après le spectacle : ainsi un collégien aux arrêts a ce divertissement d’aller en classe. On y recevait des visites, voire celles au plus beau monde ; on y donnait de grands dîners.

C’est qu’aussi la maison était presque une annexe du théâtre, un logis habituel aux justiciables de MM. les gentilshommes. Le soin de les y mener, pendant une certaine période, suffit presque à occuper un inspecteur de police, nommé Quidor ; — pour le reste de ses fonctions, c’était une sorte d’agent des mœurs. — Les plus illustres n’échappaient pas à ce traitement, et pour une peccadille ils étaient frappés. Lekain va passer à Ferney un temps de congé ; Voltaire demande pour lui un jour de plus, vainement ! Le congé expirait le 4 ; Lekain arrive le 5 : au For-l’Évêque ! Voyez-vous M. Mounet-Sully en prison, — à la Conciergerie, si vous voulez, dans l’appartement réservé aux princes, — parce qu’il serait resté un jour de trop à la campagne, chez Victor Hugo ? Une petite chanteuse, aux répétitions d’un opéra-comique, s’est habituée, par plaisanterie, à substituer à cette rime : « J’étais perdue, » quelque chose de plus énergique ; à la représentation, par mégarde, elle lâche le mot : un exempt la saisit aussitôt et va la mettre en pénitence. Imaginez-vous, dans ces conditions, qu’une ingénue accepte, par ordre, le rôle de « la Trouille » dans le prochain drame de M. Zola ?

L’épisode le plus caractéristique de ce Mémorial du For-l’Évêque, épars dans les récits du temps, c’est la tragi-comédie que Mlle Clairon, avec le concours de ses camarades et l’applaudissement de Voltaire, eut l’honneur de jouer au naturel. L’histoire est connue ; M. Maugras la raconte un peu longuement ; pour de nouveaux détails, il n’en faut guère attendre avant que M. de Goncourt se décide à publier sa monographie de la célèbre actrice. Quelques traits de l’anecdote valent pourtant que nous y insistions.

Mlle Clairon était préparée pour ce grand rôle. Cinq ans plus tôt, c’est elle qui avait commandé ce malheureux mémoire dont le parlement ne prit connaissance que pour le transmettre à l’exécuteur des hautes œuvres, allumeur public. Elle avait écrit d’un beau style à son avocat : « Née citoyenne, élevée dans la religion chrétienne catholique que suivaient mes pères,.. voyez, sans me flatter ce que je dois espérer ou craindre… Je vous aurai la plus grande obligation de fixer mon incertitude ; elle est affreuse pour une âme pénétrée de ses devoirs. » Depuis, elle avait eu avec Fréron un démêlé où elle avait obtenu que l’écrivain, par une satisfaisante vicissitude, fût envoyé au For-l’Évêque ; il est vrai qu’il n’y était pas allé. Du moins elle n’avait pas subi ce mécompte sans pousser des plaintes magnifiques ; elle n’avait