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Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/503

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la reine de Hongrie, il avait tout lieu de penser que la reine, pour sa part, était disposée à s’y prêter. Le changement de langage était si brusque, le coup de théâtre si inattendu, que Vaulgrenant crut devoir se faire redire la proposition à deux reprises avant d’y ajouter foi, et ce ne fut qu’après un second entretien qu’il crut pouvoir la transmettre à Versailles sous une forme tout à fait officielle. Encore, craignant toujours quelque piège, conseillait-il de ne s’avancer sur ce terrain qu’avec méfiance[1].

La réserve était naturelle, mais nullement fondée ; car, si la résolution de Marie-Thérèse éclatait subitement, quelques paroles, échappées dans ses entretiens avec Robinson, nous ont fait voir que la pensée de tendre la main à la France pour rester libre d’écraser Frédéric s’était déjà présentée à plus d’une reprise à son esprit. En tout cas, cette fois, elle en avait si bien admis et embrassé avec tant d’ardeur le dessein, qu’elle ne crut pas devoir se borner aie faire connaître à Versailles par une seule voie. Ce ne put être, en effet, par un simple hasard que Chavigny, au même moment, voyait se renouveler à Munich le même changement à vue dont Vaulgrenant avait la surprise à Dresde.

Lui aussi, plus dégoûté encore que son collègue, parce qu’il avait eu plus d’échecs à subir, vivait depuis les derniers événemens d’Allemagne dans une pénible retraite, envoyant lettre sur lettre à Versailles pour conjurer qu’on le tirât du poste ingrat où chaque jour lui apportait un nouvel affront à dévorer. — « Dès qu’il n’est plus possible, écrivait-il encore le 13 septembre, d’arrêter un ouvrage aussi monstrueux que celui qui doit être consommé aujourd’hui à Francfort, me laisserez-vous plus longtemps languir ici ? » — Mais subitement, le 15, son langage change, et sa correspondance, la veille découragée et devenue presque nulle, se réveille et se ranime. C’est que le bruit de la convention de Hanovre vient de se répandre dans la ville, et, en l’apprenant, le comte Chotek, ministre d’Autriche, a dit tout haut : « qu’il serait temps que la cour de Vienne et celle de France se rapprochent l’une de l’autre, et que la reine de Hongrie ferait un bon parti au roi si Sa Majesté

  1. Vaulgrenant à d’Argenson, 10 et 14 septembre 1745. (Correspondance de Saxe. — Ministère des affaires étrangères). — Le comte de Brühl, dans cet entretien avec Vaulgrenant, répéta bien à plusieurs reprises qu’il parlait en son propre nom et sans répondre des résolutions de Marie-Thérèse. Il ajouta même que le texte de la convention lui avait été communiqué par le ministre d’Angleterre et non par la reine. Mais les dépêches de Robinson nous font savoir qu’il y eut, pendant ces jours, une communication constante et un fréquent échange de courriers entre Vienne et Dresde, et Brühl ne se serait pas avancé jusqu’à faire des offres formelles sans le consentement de sa fière et puissante alliée.