Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/602

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cela vaut mieux que de tirer le premier de trop loin. Je fais ordinairement diriger toutes les pièces en belle et à l’horizon. Lorsque je me trouve en bonne position, je pointe toute ma batterie avec le gouvernail. » La bonne et simple tactique! Appréciez-en la valeur à ses effets. La frégate anglaise l’Africaine est réduite, le 10 septembre 1810, par l’Iphigénie : sur 400 hommes qui composaient, au début du combat, son équipage, 69 seulement sont trouvés en état d’être transportés prisonniers à bord de la frégate du commandant Bouvet. « Les hommes sur l’Africaine étaient piles comme dans un mortier. » Le 7 février 1813, c’est l’Aréthuse, commandée par le même capitaine, par le vainqueur du 10 septembre 1810, qui combat l’Amelia : la frégate de sa majesté britannique compte, en moins d’une heure, 141 tués et blessés. Bouvet n’avait pas cependant cette fois à sa disposition, comme sur l’Iphigénie, les canonniers de la Bellone. Son équipage était en majorité recruté à la source où nous puisons nos soldats : il comptait plus de laboureurs que de marins. C’était, en un mot, un de ces équipages de haut bord que venait de fonder, avec les dernières levées de la conscription, le ministre Decrès à court de matelots. Mais le proverbe que j’ai souvent cité sera toujours vrai : « Tant vaut l’homme, tant vaut la terre. »

Nous avons aujourd’hui des hausses parfaites, graduées pour toutes les distances; nous avons, grâce aux étoupilles à friction, un tir instantané : au temps de l’empire, on ne possédait même pas de batteries à silex. Un des servans mettait le feu à la charge avec une mèche soufrée : le navire avait le temps de rouler deux ou trois fois d’un bord à l’autre avant que le coup partît. Aussi, quand je parlais à mon père et à l’amiral Roussin de nos préoccupations modernes, de nos inventions qui commençaient à peine à poindre, tous deux me répondaient encore, en 1833, par un sourire de dédain, sinon d’incrédulité. Toutes ces minuties, pensaient-ils, étaient bonnes pour le plancher des vaches.

Rien de plus difficile à des hommes de métier que de rompre avec le passé, surtout quand ce passé fut glorieux. Les novateurs, d’ailleurs, ne tombent pas toujours juste : les Anglais, après la guerre de 1778 à 1783, furent un instant sur le point d’abandonner leurs doctrines pour s’approprier les nôtres. On les vit s’émouvoir, bien à tort assurément, des avaries causées par notre tir illogique à leurs mâtures. Quel service leurs arithméticiens nous auraient rendu, s’ils étaient parvenus à les convaincre ! Le général Douglas, le premier, fit intervenir avec succès la science dans la question. Il est vrai que sa science n’était pas purement théorique : elle avait pour base une longue et judicieuse série d’expériences. Au moment où