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Puisque la révolution, toujours d’après M. Taine, — et uniquement d’après lui, — n’a causé que des maux à la France, quelle reconnaissance veut-on que M. Taine ait pour l’homme qui, d’inflammatoires qu’ils étaient, les auraient rendus chroniques, c’est-à-dire incurables? Et d’autant que l’on prouvera qu’en organisant ce désordre, Napoléon a seul eu la puissance de le faire durer, n’est-ce pas ainsi dans le sens même de M. Taine que l’on abondera?

Quant à la question maintenant de savoir en quelle mesure et jusqu’à quel point M. Taine a tort ou raison dans son paradoxe, il convient peut-être d’attendre, et ce n’est pas sur un fragment de son livre que nous pouvons en décider. Sans doute, jour le moment, à nos yeux comme aux yeux de la plupart des Français, c’est de Napoléon que date la société contemporaine, et, si nous voulions faire une longue énumération de tout ce qu’elle lui doit d’institutions durables, nous le pourrions aussi bien qu’un autre. Nous tiendrions seulement à rappeler que, d’un grand nombre d’elles, Napoléon n’est pas l’unique auteur, mais le plus récent organisateur, et que l’ancien régime, ainsi que la révolution, ne laissent pas d’y avoir une large part à revendiquer. C’est à la Constituante qu’il faut faire honneur, si l’on pense qu’il y en ait lieu, de la description administrative du sol national, et, conséquemment, de l’organisation à laquelle plus tard ce tracé même a servi de cadre. C’est à la Convention, on le sait, qu’il faut faire honneur d’avoir posé les principes et fixé les grandes lignes du Code civil, et les Berlier, les Thibaudeau, les Merlin, les Treilhard, les Cambacérès, avant d’être tribuns ou conseillers d’état, ont commencé par être autant de conventionnels. On sait moins que le Code de procédure contient encore aujourd’hui la substance de l’Ordonnance de 1670, et qu’il n’est pas jusqu’à la législation abhorrée de la Ferme dont les dispositions techniques ne régissent toujours notre matière des contributions indirectes. L’empire n’a pas tout fait, tout tiré du néant; et l’empereur, comme il avait trop de sens pratique et politique pour essayer de remonter le cours de la révolution, portait aussi trop haut le sentiment de la solidarité française pour ne pas utiliser tout ce que l’ancien régime, en tombant, léguait au nouveau. Ce sont deux choses dont la première fait un peu défaut à M. Taine, et la seconde au prince Napoléon. Mais, après tout cela, ce qu’il s’agit de savoir, c’est ce que ce nouveau régime contient lui-même en soi d’élémens de durée; c’est la question que s’est posée M. Taine; et c’est la réponse que nous devons attendre de son dernier volume.

Il disait, en effet, dans son Étude sur Napoléon, et c’en étaient même les dernières lignes ou la conclusion : « Telle est l’œuvre de Napoléon : dans sa bâtisse européenne comme dans sa bâtisse française, l’égoïsme souverain a introduit un vice de construction. Dès les