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On en copie certains chapitres, on en fait des décoctions, qu’on avale dévotement ; si on ne guérit pas, c’est que le diable s’en est mêlé. Mais un très grand nombre de nègres trouvent un plaisir exquis et désintéressé à réciter tout haut le saint livre des heures durant ; c’est leur passe-temps favori, la consolation et le réconfort de leur âme. Ils tiennent à le lire dans l’original, ils apprennent l’arabe, et cette langue, nous dit M. Blyden, a pour eux « un charme subtil et indéfinissable, une beauté et une musique sans nom. » L’appétit vient, on lit d’autres livres encore, on les explique, on les commente. Le peu de littérature et de science qui circule dans les bassins du Niger et du Sénégal procède de l’islam. Le docteur Barth avait trouvé dans l’Afrique centrale plusieurs ouvrages d’Aristote et de Platon, et une version arabe d’Hippocrate, à laquelle on rendait de grands honneurs. A Billeh, c’est-à dire à soixante milles nord-est de Freetown, M. Blyden a découvert dans une bibliothèque musulmane des traités de dévotion, de poésie, de rhétorique, d’histoire, composés par des auteurs foulahs et par des écrivains mandiogues.

A quoi faut-il attribuer l’impuissance des catéchistes chrétiens en Afrique et les étonnans succès des missions musulmanes ? Le christianisme, religion universelle, qu’une savante casuistique a adaptée plus particulièrement à nos besoins, à notre tour d’esprit, est devenu dans le fait la religion propre à une race qui est ou se croit supérieure à toutes les autres, et qui promène partout avec elle dans le monde son orgueil, ses étonnemens et ses mépris. Si doux, si humble de cœur que soit un missionnaire chrétien, il est le patron, le noble protecteur de ses catéchumènes, et il y a une morgue cachée dans l’indulgence qu’il leur témoigne. Il croirait se dégrader en adoptant leurs occupations et leurs plaisirs, leurs coutumes, leur genre de vie ; il n’a rien à recevoir, c’est lui qui donne tout. Le mahométisme est une religion vraiment cosmopolite ; il a trouvé accès chez les Mongols comme chez les Caucasiens ; ses adhérens, ses convertis se recrutent parmi les fils de Sem, de Japhet et de Cham. Il ne connaît pas les distinctions de races, il ne fait pas acception des personnes et de la couleur des visages. Les musulmans ne méprisent que le mécréant, l’infidèle, qui se refuse à voir dans Mahomet le prophète de Dieu ; tout homme qui croit est leur égal, eût-il les cheveux crépus, le nez épaté et les lèvres pendantes.

Que le missionnaire de l’islam arrive de Kérouan, du Caire ou du Maroc, il pratique le précepte que le Christ donnait à ses douze disciples : « Quand vous irez annoncer le règne de Dieu, n’emportez avec vous ni sac, ni pain, ni argent, et n’ayez pas deux habits. « Il ne se vante pas d’être un gentleman, il a épousé la sainte pauvreté, qui n’a rien qui lui déplaise, et il en porte fièrement la livrée. Il a pour tout