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l’après-midi : « A la suite d’une révolution, l’empereur et l’impératrice ont été forcés de quitter le Brésil. Ils viennent de relâcher à Cherbourg sur une corvette anglaise. Cela peut amener quelques changemens à Lisbonne : cependant partez. Je vous enverrai, s’il y a lieu, des instructions supplémentaires par la Guerrière. »

Partir ! Le 12 juin, « le vent est toujours grand frais de sud-ouest. » Le 13 juin, « il souffle de l’ouest-nord-ouest. » Dans la nuit « calme plat. » Le 14, « faible brise d’ouest-sud-ouest : grande marée. » Il était autrefois de règle à Brest de ne jamais tenter de franchir le goulet, — à moins qu’on n’eût tout à fait vent sous vergue et une brise bien établie, — en plein jusant. La marée est sans doute d’un puissant secours pour s’élever au vent, quand le vent est contraire ; seulement, si l’on s’échoue, pendant que la mer baisse, on peut se considérer comme perdu. La roche Mingan est, dans ce cas, bien autrement à craindre que les rochers de Scylla ou que le gouffre de Carybde. Le vaisseau le Golymin y a disparu ; la frégate l’Aurore a failli y rester. D’un autre côté, vouloir refouler à la fois le flot, courant contraire, et le vent, n’est tentative permise qu’à la vapeur. Une frégate, une corvette, un brick, auraient été enchaînés au mouillage. Qu’attendre d’un vaisseau de 90 canons, tout frais échappé du port, avec une maistrance inconnue et un équipage novice !

Un de ces coups de bascule familiers au régime parlementaire a remplacé au ministère de la marine le comte d’Argout par le vice-amiral de Rigny. « Mon général, écrit, le 14 juin, au nouveau ministre, l’amiral dont la résignation se trouve mise à si rude épreuve, la plus insupportable contrariété semble s’attacher à nous. Les vents d’ouest continuent depuis le 8 au matin, sans qu’il y ait eu un seul moment d’espoir de les voir cesser. Tous les meilleurs pilotes du pays sont à bord : ils sont unanimes sur l’impossibilité de sortir, tant que ce temps durera. Je vois avec désespoir le temps s’écouler. Je sais, par votre dépêche d’hier, que l’escadre de Toulon est partie le 9. Nous sommes ici, les amarres à la main, depuis quatre jours. Rien ne peut exprimer mon impatience et mon chagrin. L’idée que cette contrariété peut faire manquer la mission m’est horrible. C’est le 8 que la nuaison de douze jours de vent de nord-est a cessé, c’est-à-dire précisément vingt-quatre heures avant l’arrivée de votre estafette. Depuis ce moment, il n’y a même pas en l’apparence d’un temps favorable. »

La plainte est ici contenue : l’amiral tient à garder le ton qui convient à une dépêche officielle. Avec ses amis, il donnera un plus libre cours à sa bile. Nous verrons mieux ainsi à quelles épreuves