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peu moins violente. — Largué un ris. — Je m’approche de terre. — Une fois sur le méridien du phare de Guia, je mets en panne au milieu des bateaux de pêche et je leur remets tous ceux de nos prisonniers portugais qui ne sont pas marins, avec leurs effets. Il y en a vingt-neuf. Ils conviennent tous qu’ils ont été traités avec égard et humanité. — Quand cette opération est terminée, je prends le large et je rejoins la Melpomène, qui continuait, avec les bricks, de croiser au vent. — Vent toujours très frais de nord-nord, ouest au nord-est. — Le flot nous entrait rapidement dans le Tage.

Du 4 au 5 juillet. — Beau temps, brumeux. — Vent du nord est fraichissant de plus en plus. — Je crains de ne pouvoir tenir ici sans avaries majeuress Je crois également impossible que l’escadre, tant que ce vent durera, puisse me rallier. Cette perspective est désespérante. — Rien ne change depuis vingt-cinq jours. Une brume épaisse et humide couvre l’horizon. A 10 degrés de hauteur, on voit à peine la terre, dont nous sommes à 4 milles, et le vent est grand frais. J’ai ordonné de remplir les caisses en feu d’eau de mer : le vaisseau donne beaucoup de bande.

Du 5 au 6 juillet. — Beau temps, belle brise, un peu moins forte qu’à l’ordinaire. Au jour, plusieurs bateaux à vue sont visités. A cinq, heures, on aperçoit le cap la Roque 7 milles à l’est. »

Que de réflexions, dans le cours de cette laborieuse croisière, durent agiter l’esprit de l’illustre amiral ! Sommes-nous bien sûrs qu’il ne se dit pas souvent, comme Agamemnon :


Heureux qui satisfait de son humble fortune
Vit dans l’état obscur où les dieux l’ont caché !


La mission sur laquelle il bâtissait en secret tant d’espérances menace de tourner mal. Il aura bataillé des mois entiers avec la mer, et reviendra peut-être au port, humilié, plein de confusion, ramenant des vaisseaux, harassés, sans avoir obtenu du gouvernement portugais la moindre satisfaction. « Rien ne change depuis vingt-cinq, jours, » écrit-il. Rien ne change et l’eau se consomme. S’il fallait lever le blocus ! On croit facilement que ce qui vous intéresse intéressera les autres.. Pour moi, ces notes intimes, que l’amiral consigne ; chaque soin sur son journal, me mettent, mieux que tous les rapports du monde, en communion avec ses pensées ; Je le vois dans sa chambre, soucieux, assombri, dépouillant cette sérénité de commande qui. est uni des devoirs les plus impérieux du chef ! Rien ne change ! Nous n’entrerons pas à Lisbonne. Il a dicté ses ordres pour la nuit.. Il se jette, souvent tout habillé, sur sa couchette. Ce n’est pas, malgré les fatigues de la journée, le repos qu’il y trouve.