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dans l’air célèbre : Madamina, che catalogo è questo ! sa poltronnerie dans le sextuor, dans le duo du cimetière, dans la scène finale. Et Don Juan lui-même ! que n’en dirait-on pas, que n’en a-t-on pas dit !


Il en est un plus grand, plus beau, plus poétique,
Que personne n’a fait, que Mozart a rêvé.


Je ne sais trop si Mozart, qui ne philosophait guère, a rêvé le don Juan de Musset, cet insatiable chercheur d’amour, qui souffre de sa recherche vaine et qui finit par en mourir. Ne l’oublions pas, Mozart était la musique même ; il n’était guère que cela, et, pour un musicien, c’est quelque chose. Le héros de Musset l’aurait étonné sans doute. Mozart aurait peu compris ce pâle jeune homme, ce maladif enfant du siècle, courant, à travers la débauche et le crime, à la poursuite de je ne sais quel idéal psychologique et prétentieux. Il eût été plutôt de l’avis de Molière : « Tu vois, dit quelque part Sganarelle, tu vois en mon maître un épouseur à toutes mains. » Voilà bien ce que Mozart aussi dut voir dans don Juan : un libertin, qui ne manque, il s’en faut, ni de grâce ni de grandeur ; le plus beau, le plus hardi des libertins, mais un libertin, et presque rien de plus. Aussi bien, cela suffit pour créer une figure immortelle. Ah ! le beau parleur d’amour ! d’amour tragique qui va jusqu’au crime : au viol, à l’assassinat ; d’amour léger, à fleur de chair, pour des paysannes ou des suivantes. Mozart se préoccupe peu de psychologie ; il n’a pas d’arrière-pensées, il ne songe guère à poser en musique des énigmes morales, et ce qui le prouve, c’est la banalité même des aventures de don Juan. A qui don Juan chante-t-il les deux plus ravissantes de ses chansons d’amour : Là ci darem la mano et la sérénade ? A une paysanne et à une chambrière. Musset l’a créé de toutes pièces, et peut-être à sa propre image, ce don Juan qu’il nous montre :


… Fouillant dans le cœur d’une hécatombe humaine,
Prêtre désespéré, pour y chercher son Dieu.


Mais il ne l’a pas vu dans Mozart, ou du moins nous ne pouvons l’y voir avec lui. Ce qu’il a très bien vu, sans autant subtiliser, c’est la double beauté de la sérénade, de la page la plus fameuse, au moins la plus populaire de la partition. Les vers resteront à côté de la mélodie, pour la faire mieux comprendre et plus aimer. Le chant de la sérénade est d’une galanterie, d’une amabilité à la fois libertine et tendre ; il est plein de soupirs et de caresses. Quant à l’accompagnement… Tenez, il vaut mieux citer le poète :