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ne pas se laisser effrayer par la grandeur de la tâche, il faut être soutenu, comme le dit l’auteur de la préface, par « cet enthousiasme qui est nécessaire aux œuvres de longue haleine[1] ; » il faut l’être par la sympathie et l’estime d’un public d’élite. Cet enthousiasme ne s’éteindra pas ; il sera entretenu, il sera réchauffé sans cesse par les découvertes et les surprises de cette longue exploration, par l’infinie variété de tous les beaux ouvrages que les deux voyageurs rencontreront à chaque détour du chemin ; l’accueil fait par les gens de goût à cette première partie répond de celui que les volumes suivans trouveront auprès des mêmes lecteurs. Il va d’ailleurs de soi que ceux-ci ne seront pas toujours, sur tous les points, de l’avis des deux historiens ; mais ce n’est pas ici le lieu de s’arrêter aux discussions minutieuses et aux chicanes de détail. Ce qui fait l’intérêt du livre, c’est le compte qu’il rend de la naissance et du développement de la poésie épique. M. Maurice Croiset est un disciple modéré de Wolf ; malgré la discrétion de sa critique et la finesse de ses jugemens, il n’a pas réussi à nous convaincre. Nous saisirons donc cette occasion pour exposer les vues que nous a suggérées à nous-même une lecture attentive et complète de l’Iliade.


I

Il y a quelques années, j’avais à ouvrir un cours de littérature grecque devant des auditeurs qui ont le droit de beaucoup demander à leurs maîtres, devant les élèves de l’École normale ; c’était par Homère et par la question homérique que je devais commencer. Ma première préoccupation avait été de savoir comment étaient posés, à cette heure, les problèmes sur lesquels j’avais à me prononcer ; or je n’avais pas tardé à reconnaître que, dans ces derniers temps, la critique n’avait guère fait que tourner toujours dans le même cercle, sur les traces des grands érudits de la première moitié du siècle ; elle n’avait pas présenté de solutions vraiment nouvelles ; elle avait plutôt discrédité, en les poussant jusqu’à leurs conséquences extrêmes, celles qui, pendant un certain temps, avaient paru sur le point de prévaloir. Un critique d’un esprit d’ailleurs vigoureux et pénétrant, Paley, n’allait-il pas jusqu’à soutenir, par des raisons dont quelques-unes pouvaient sembler presque spécieuses, que l’Iliade et l’Odyssée, sous leur forme actuelle, ne s’étaient constituées qu’après les guerres médiques, dans le cours du

  1. Cette préface est signée de M. Alfred Croiset.