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sera pas contagieux ; et, pour quelques hommes de lettres qui se feront des lettres un but, il n’en manquera jamais qui ne s’en feront qu’un moyen. Les lettres n’auront été qu’un but pour Gautier, et je ne puis le lui reprocher, et, si l’on me pousse trop, je suis homme à l’en féliciter.

Il a, d’ailleurs, — et j’en reviens à son vrai titre d’honneur, — exercé une influence considérable, et pour cette raison, comme nous avons essayé de le montrer, son nom vivra et son souvenir. Il ne grandira point, quoi qu’en puissent penser M. Emile Bergerat et M. Charles de Lovenjoul, mais je ne crois pas qu’il tombe non plus dans l’oubli profond que lui prédisait M. Emile Faguet. Non-seulement dans l’histoire de la poésie française contemporaine, mais encore dans ce que l’on pourrait appeler l’histoire des idées littéraires du siècle, il nous semble en effet que sa place est dès à présent marquée. Laissons de côté la question de l’art pour l’art, et supposons qu’Émaux et Camées ou le Roman de la momie ne soient plus lus un jour que des curieux de lettres ; mais comment le naturalisme est-il sorti du romantisme ? — car il en est sorti, et ce père a beau maudire ce fils, ce fils a beau manquer de respect à ce père, ils n’en sont pas moins le père et le fils, le fils et le père. — C’est ce que l’on ne peut comprendre qu’en étudiant l’influence de Théophile Gautier. Là est sa véritable originalité, et là sa sûreté contre les changemens de la mode et du goût. Si les lecteurs l’oublient ou le négligent, les historiens de la littérature le leur rappelleront. Et quand ils ne pourront, comme nous-même, qu’indiquer d’un seul trait la transition, et l’étudier que dans un seul personnage, ils préféreront Théophile Gautier à Sainte-Beuve et à Mérimée, qui ont joué un peu le même rôle, romantiques, devenus, eux aussi, naturalistes sur leurs vieux jours.


F. BRUNETIERE.